Etape 15 – Straniger Alm -> Valentinalm – km 332

Mardi 20 août 2024

Distance27 km
D+ / D-1321m / 1623m
Heure de départ et d’arrivée07h15 -16h15
MétéoFine pluie le matin se degageant l’après-midi
~ 15 °C

Comme de coutume je me lève à l’aube, préférant partir tôt pour parer à toute éventualité ou contretemps sur l’étape du jour. Ce qui devient aussi une habitude, c’est la météo: ce matin c’est une nouvelle fois brouillard et crachin au menu. Il va falloir partir avec les chaussettes encore humides.

Pressé de démarrer je suis le premier au petit déjeuner, avant même son ouverture officielle. Je prévois en effet une grosse journée, car je souhaite arriver au minimum au col routier du Plöckenpass, ce qui suppose un dénivelé assez conséquent et un premier passage au-dessus de 2000m. La tartine au beurre local engloutie, je me mets en route a 7h15 pour une première montée de 300 mètres à la fraîche, en direction de la Zollnersee. En lieu et place de l’itinéraire officiel qui suit une piste carrossable, j’opte pour un plus sympathique sentier alternatif qui part de derrière la ferme. Celui-ci longe d’abord l’étable des chèvres, et le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’est pas vraiment l’endroit ou il faudrait se promener avec de jolis mocassins. Ici démarre ce que je nommerai ensuite “la journée de la bouse”.

En plein milieu du chemin je croise alors la première équipe de poseurs de crottes, qui répondent à mon salut en bêlant, puis m’élance a travers de vastes prairies d’herbe détrempée (puisqu’il faut bien nettoyer ses pieds avant de les salir à nouveau). Une petite grimpette m’amène devant les ruines de “Hohenlager Straniger Alm”, qui comme son nom l’indique était l’ancien bâtiment de “stockage du haut” (quelques termes d’allemand n’ayant aucun secret pour moi, exemple: “Ein lagerbier bitte”). La pente se fait ensuite plus raide et dans les lacets je manque d’écraser un curieux animal. Je peux cette fois formellement l’identifier comme étant une salamandre noire. A quelques mètres de là j’en observerai deux autres exemplaires, brillants comme s’ils venaient juste d’émerger d’une cuve de pétrole.

Alors que j’approche d’un col sans nom qui débouche sur la vallée suivante, le bestiaire s’agrandit encore avec la présence de nombreuses vaches. Celles-ci confèrent une certaine photogénie au paysage, pourtant déjà superbemment dramatisé par les nuages qui recouvrent la vallée ce matin. Au sommet d’un petit promontoire un bovidé noir prend fièrement la pause. Ca y est, après tous ces kilomètres ma quête s’achève: j’ai retrouvé la vachette d’Intervilles.

Difficile de poursuivre ce voyage après une telle rencontre, mais malgré tout je franchis le col et m’engage sur un chemin en balcon. Il me suffit de quelques centaines de mètres pour croiser à nouveau un groupe de trois salamandres. Le phénomène du groupe de trois se répétera encore plus tard, mais cet exemple déjà suffit à me plonger dans de profondes réflexions : les salamandres noires seraient-elles adeptes du triolisme ? Cherchant réponse a cette question existentielle j’en finis presque par oublier de regarder le chemin, mal m’en prend car celui-ci devient soudainement de plus en plus escarpé. Après un passage équipé de petits barreaux qui force à se tenir au rocher, je m’arrête une minute pour scruter la suite. Celle-ci ne paraît guère engageante, le sentier se faisant très étroit et le vide à droite impressionnant. Je croyais pourtant cette section facile, n’ayant rien lu de particulier à son sujet. Le doute m’envahit. Me serais-je trompé de route ? C’est en tout cas ce que semble me confirmer le GPS sur mon téléphone, qui me localise sur un tout autre chemin plus au nord. Je fais alors demi-tour et retourne vers le col, pensant avoir raté un embranchement à cet endroit. Mais après quelques centaines de mètres en arrière ça ne colle pas : le paysage ne correspond pas à ma position indiquée sur la carte et je ne vois vraiment pas où je pourrais passer ailleurs, à moins de grimper en haut de la paroi. Finalement en revérifiant une troisième fois, mon GPS -qui devait déconner un peu ou mal capter en raison des nuages- se met à jour, et confirme que j’étais sur le bon sentier depuis le début.
Voilà comment se rajouter bêtement un kilomètre, et franchir une troisième fois le passage avec les barreaux. Heureusement il n’y aura derrière aucun autre obstacle de ce genre, et il me suffira de marcher lentement sur la corniche, non pas en fermant les yeux, mais en évitant juste de regarder à droite.

Pour me récompenser de ma bravoure, le balcon se conclut par une trouée entre de hautes herbes dont je sors complètement trempé. Je débouche alors sur un large plateau avec son centre une cuvette emplie par le lac de Zollnersee. C’est charmant mais j’imagine toutefois les lieux plus jolis et agréables par beau temps. Non seulement le crachin n’a pas cessé de tomber, mais en plus les sentiers sont assez boueux et bousillés par le piétinement intensif des nombreuses vaches qui broutent aux abords du lac. Je n’ai qu’une hâte, c’est d’arriver à la Zollnersee-Hütte pour faire une pause et essorer mes chaussettes. Je l’atteins peu avant 10h, et après ces 3 heures d’effort sous un temps pluvieux et froid, marquées en plus par une erreur d’orientation, je ne juge absolument pas qu’il est trop tôt pour m’offrir une bière et souffler une petit demi-heure.

Requinqué par mon jus d’orge, je repars en suivant le balisage de la Kärntner Grenzweg alias Via Alpina 20 alias Karnischer Höhenweg 403, autant d’appellations alors que tous les chemins mènent à Rome. Je descends de 200 mètres et traverse la cour d’une “Alm” dont le nom ne figure pas sur la carte. C’est mignon et ca ressemble à un petit snack, ou bien peut-être un gîte de vacances à la location, mais je ne peux le confirmer car en cette heure matinale c’est fermé et je n’y vois personne. L’itinéraire m’envoie ensuite sur la piste carrossable qui rejoint cette bâtisse par l’autre côté· Enfin quand je dis carrossable, je souhaite bien du courage au prochain qui voudra la carrosser. Le chemin est envahi par les vaches (que je dois éviter en essayant de passer le moins près possible car on ne sait jamais), et couvert par leurs déjections qui par endroits se sont mêlées a la boue.

Traversant ces écuries d’Augias je crois en avoir fini lorsque je quitte la piste un peu plus loin. Erreur car derrière le même plat m’est servi, mais cette fois sur une sente irrégulière d’une vingtaine de centimètres de large tout au plus, qui serpente entre les hautes herbes. Même si la boue disparaît peu a peu, les kilomètres suivants seront particulièrement éprouvants en raison de l’étroitesse du chemin et de la végétation luxuriante. Difficile de prendre du plaisir malgré les vues spectaculaires. A en lire les commentaires sur le site de la Via Alpina il semble que je ne suis pas le seul à en avoir souffert. On dirait que ce chemin est très peu emprunté, car sans doute trop loin d’accès en voiture. D’ailleurs je ne croise aucune âme qui vive pendant 2 heures.

Malgré une progression lente je finis tout de même par atteindre le fond de vallée. Ici je quitte la Via Alpina pour passer côté italien via le col du Passo Promosio (1792m), L’itinéraire officiel passant par le sommet du Koderkopf semblant en effet assez ingrat (sentier du même genre que celui que je viens de supporter et un peu exposé). Et surtout la variante par le lac d’Avostanis paraît beaucoup plus jolie. Effectivement passant sur la face sud le décor change radicalement : chemins larges et bien tracés, ciel bleu, et signes de vie plus bas dans la vallée. Pour ajouter à mon bonheur, nul besoin de redescendre car un raccourci longeant la crête permet de rejoindre plus loin la piste montant au lac. Je croise tout d’abord un âne amical qui semble vouloir se faire caresser, puis passe devant une grotte qui semble avoir été utilisée par les soldats pendant la guerre, avant de retourner vers la civilisation et retrouver quelques groupes de mes congénères montant au lac par la voie principale. Sur l’instant l’affluence bien que modeste me paraît grande, n’ayant vu en comparaison que de très rares randonneurs sur le versant autrichien. Soit les italiens sont moins fainéants, soit la géographie des lieux appelle à cette différence, de cet exemple je me garderai bien de tirer des conclusions !


Après une courte montée me voici au lac d’Avostanis (1936m) à 12h45. Le soleil a pointé le bout de son nez et le paysage tient toutes ses promesses : parfait pour la pause déjeuner. Je m’installe sur une table face au lac et sa paroi effrayante et sors mon pain et mon fromage, même si d’emblée je sais que je ne vais pas y passer des heures car le vent est assez fort. D’autant que dans le refuge non gardé derrière moi, un groupe plutôt agité et bruyant (pour ne pas dire pénible) a colonisé l’endroit . Me retournant je les vois alors porter des packs de 6 grandes bouteilles d’eau comme s’ils s’installaient pour la semaine. Je me demande quel est exactement le projet, sachant qu’il y a une fontaine un peu plus bas..

Le repas rapidement pris je fuis, déterminé à laisser derrière moi la dernière montée de la journée, via un court raidillon de 150m. Ce sera fait peu avant 13h30, lorsque j’atteins le col à 2101m situé sous la « Cima Avostanis ».

Sur l’autre versant je découvre la suite du menu. Il y a d’abord en bas la crête dominée par le Pal Piccolo (1867m), qui n’a pas l’air difficile comme ça mais qui est en fait truffée de tranchées et fortifications de la 1ère guerre, et de chemins escarpés tenant davantage de la Via Ferrata. J’éviterai ce secteur après avoir lu le récit qui en est fait ici par un randonneur bien plus chevronné que moi. Puis derrière, il y a la prochaine section des Alpes Carniques qui s’annonce plus massive, avec à son extrémité les sommets du Kollinkofel (2689 m) et du Kellerspitzen (2774 m), sous lesquels je passerai demain. Pour l’heure et puisque je suivrai la crête par sa droite et son versant autrichien, il me faut rejoindre le Plöckenpass.

Par une descente sans difficulté j’atteins le Passo di Pal grande (1761 m), et quelques mètres plus tard je bifurque à droite pour remonter légèrement et repasser sur l’autre flanc. A cet endroit, loin de tout et sur de petits sentiers, j’entends le bruit incongru d’une motocross qui ne doit pas être à plus de 200 mètres de là. Il y a de ces fous…Je ne croise finalement pas l’énergumène. Par une longue piste forestière de 5km dont la seule attraction sera la présence d’une petite chapelle, mémorial de la première guerre, j’arrive au Plöckenpass à 15h30. J’y avais repéré une auberge mais celle-ci est fermée. J’apprendrai plus tard que la route du col côté italien est toujours fermée suite a un glissement de terrain l’année précédente. Ceci explique sans doute cela.

Pas d’autre choix que de poursuivre, et 45mn plus tard je me trouve devant l’alpage de Valentinalm (1200m). J’y vois pas mal de monde mais surtout des gens qui sont montés en voiture via la piste caillouteuse à 15 % (no comment), je me rassure en me disant qu’ils sont juste venus pour manger mais n’y passeront pas la nuit. En effet une fois encore je n’ai rien réservé, mais puisqu’on est fin août je crois en ma chance. Et je fais bien car les tenanciers, super sympas (à rebours de certains commentaires sur le site de la Via Alpina – mais il semble que la gestion a changé en 2023), me confirment qu’ils ont de la place dans le dortoir qui est dans le bâtiment d’à côté (l’ancienne lagerhaus). Puis, quand je leur raconte d’où je viens et tout ce que j’ai marché aujourd’hui, ils semblent me prendre en pitié et m’offrent carrément une chambre pour le même prix, normalement non louée aux touristes, et située au rez de chaussée de ce même bâtiment dortoir. Je me sens assez chanceux, ma chambre étant en outre à proximité immédiate des commodités partagées (toilettes, douche, lavabo pour rincer mes chaussettes). Je pense aussi que puisque j’étais seul, ils voulaient laisser la jouissance du dortoir à un groupe qui y était déjà installé.

Le reste de la journée me permet de bien récupérer, me laver et faire sécher les vêtements et chaussures encore trempés du matin. Comme les hôtes sont accueillants et que demain est encore une grosse journée, je m’offre ensuite un succulent cordon bleu maison, après qu’ils m’ont confirmé que je pouvais payer par paypal (et ainsi ne pas diminuer ma réserve de liquide pour les prochains jours). Avant de me coucher, je prends quelques photos des lieux sous la lumière déclinante, car le cadre est magnifique et je me dis encore que j’aimerais y retourner un jour, en famille.