Mercredi 21 août 2024
| Distance | 23 km |
| D+ / D- | 1873m / 1195m |
| Heure de départ et d’arrivée | 07h45 – 16h20 |
| Météo | Couvert le matin, soleil le midi puis passages pluvieux l’après-midi, ~20°C |
Ce matin bonne nouvelle : c’est couvert mais il ne pleut pas. Je traîne un peu devant le petit déjeuner gargantuesque (décidément une adresse à retenir) et ne quitte les lieux qu’à 7h45. Une grosse journée m’attend avec 1800 mètres de dénivelé, dont une bonne moitié à gravir tout de suite pour atteindre le col de Valentintörl (2138 m). Je décide d’y aller doucement et d’économiser cuisses et mollets en suivant la piste carrossable tant que c’est possible. C’est un poil plus long mais les pourcentages sont beaucoup plus cléments que sur le sentier qui coupe tout droit à travers les lacets. La piste s’arrête à l’altitude 1550m, devant l’alpage d’Oberer Valentinalm, perché sous les parois gigantesques du groupe du Kellerspitzen (2774 m). Contrairement à Straniger Alm pas de vaches ni de fromage ici, le bâtiment n’est plus en service et il ne reste en bas que l’activité touristique dont j’ai profité hier.


A mesure que je gagne le fond de la vallée le paysage devient plus alpestre, avec de grandes étendues herbeuses ça et là couvertes de gros cailloux tombés d’en haut. Dans un tel décor je ne suis pas étonné d’observer quelques minutes plus tard un groupe de marmottes, dont la sentinelle donne l’alerte à mon approche. Je ne me dispense pas du cliché de prendre un cliché, effort vain qui se traduira comme d’habitude par la capture d’une tache marron à peine discernable au milieu des rochers.


A 1750 mètres, le sentier se fait plus raide pour attaquer la dernière partie. Sur ma gauche, les parois sont toujours plus spectaculaires et laissent maintenant clairement deviner la trace d’un ancien glacier. Il y a même encore des névés fin août à cette altitude, preuve que sous cette face nord il ne doit pas faire bien chaud…C’est magnifique et j’en prends plein les yeux.




Sans conteste cette fin d’ascension et la descente vers le lac de Wolayersee forment le plus beau passage de ma Via Alpina 2024. Je ne dois d’ailleurs pas être le seul à le penser, car je croise de plus en plus de randonneurs. Pour couronner le tout le temps s’est progressivement dégagé et c’est sous un ciel bleu que j’atteins le col à 10h15, puis une vingtaine de minutes plus tard les berges du lac, sous l’imposant Seekopf (2554 m).



D’ici je rallie en peu de temps le refuge de Wolayerseehütte, dont les intérieurs luxueux font davantage penser à un hôtel. Les lieux semblent être assez fréquentés en temps normal, étant accessible depuis le côté autrichien via une piste qui attire de nombreux touristes en vélo à moteur (je ne sais pas si on doit réellement s’en réjouir).
En outre, à une quinzaine de minutes de là tout au plus sur le versant italien se trouve le Rifugio Lambertenghi, qui doit également charrier son lot de visiteurs. A cette heure-ci et en cette saison ça reste toutefois calme. J’en profite pour y faire une pause au soleil pour ma traditionnelle bière de mi-journée, et parce qu’il fait quand même un peu frisquet, m’offre aussi une « Rindsuppe mit Tirolerknödel » (un bouillon de bœuf garni d’une immense boulette de pain/oeuf/lard, pour la recette voir ici: https://ricette.giallozafferano.it/Canederli-alla-Tirolese-Knodel.html ).
A 11h15 je repars déjà, et opte à nouveau pour la descente par la piste qui me permet de dérouler plutôt que de potentiellement m’esquinter les genoux dans le sentier.


Je croise plusieurs mobylettes sans essence vélos électriques, mais aussi quelques courageux qui montent en pédalant (quand meme 9km à 10 % depuis le parking en bas si mes calculs sont corrects ). Atteignant la vallée de Wolayer bach je retrouve les vaches et un alpage entouré d’un immense cirque. Je dois passer derrière cette paroi mais je me demande bien par où ! La réponse ne tarde pas à arriver, après un virage la vue se dégage et je remarque au fond à gauche une trouée, où passe probablement le chemin qui mène en Italie via le col de Giramondo (2005m). Ici je quitte la piste et l’itinéraire touristique principal pour revenir sur une plus petite trace. Je marche d’abord à flanc de montagne et profite de vues spectaculaires sur l’entrée de la vallée et les sommets du Gamskofel (2526 m) et du Monte Coglians (2781 m). Même si l’altitude pourrait paraître modeste il ne faut pas s’y tromper : le plancher est plus bas et c’est très vertical (comme en Slovénie d’ailleurs).



Les derniers hectomètres vers le col sont plutôt raides et je commence à sentir la fatigue, je dois à plusieurs reprises faire des petites pauses pour reprendre mon souffle. Je ne suis pas donc mécontent lorsque j’arrive enfin en haut peu après 13h, et traverse pour la 8eme fois de mon parcours la frontière italo-autrichienne
Une fois encore sur l’autre face le terrain change de visage, et j’entre sur des pâturages de hauts-plateaux. Par un arbre en vue dans cet environnement vert et minéral. D’ici il me faut d’abord traverser un grand pierrier un peu effrayant vu de loin.



Par chance un groupe me précède et même si je marche plus vite qu’eux, je me garderai bien de les dépasser : merci d’ouvrir la route telle une voiture dans le brouillard ! De brouillard il n’y a pas, mais par contre le temps est en train de tourner, et après cet obstacle (bénin au final car le chemin et les pierres sont suffisamment larges, limitant le risque de glissade), je découvre le charmant lac Bordaglia sous un ciel devenant assez gris.




C’est très beau mais je n’y traîne pas, préférant rapidement perdre en altitude avant la prochaine averse. Après une brève remontée je ne tarde pas à franchir le col suivant (Sella Sissanis – 1987m), puis m’engage dans la longue descente vers le Val Fleons. Longue en réalité elle ne l’est pas tellement, mais c’est l’impression que j’en ai alors, l’usure après 6h de marche et plus de 1300 mètres de dénivelé commençant à produire son effet. Qui dit montagne en Italie dit bâtiment isolé (militaire ou fermier) et je passe devant trois d’entre eux : la Casera Sissanis di Sopra (en ruine), et la Casera Sissanis di Sotto (abri non gardé pour randonneurs). Puis, retrouvant le plancher de la vallée je passe devant la « Casera Fleons di Sotto » qui fait face à une énorme paroi. Des travaux de rénovation sont en cours et deux hommes s’affairent sur le toit. L’année prochaine il y aura peut être ici un refuge ou une auberge ?



Dans l’immédiat sa petite fontaine me permet au moins de refaire les niveaux d’eau. Je me ravitaille également en sucre en consommant mon dernier Snickers, puis m’élance pour l’ultime section de la journée. Il se ne passe alors pas 5 minutes avant que la pluie ne se mette à tomber,. Une véritable douche et évidemment aucun endroit pour prendre abri. J’en ai ma claque : je suis encore trempé de la tête aux pieds et ça fait le quatrième jour de suite que je m’en prends une bonne. Je jure à base de « p…. » et « ras le c… » , parce que quand même, on est censés être au mois d’août ! Mon dernier épisode de vulgarité remontait au 2ème jour, pendant la canicule. Je suis passé d’un extrême à l’autre.
Mais après la pluie à défaut du beau temps vient au moins un temps sans pluie, et je m’en satisfait pleinement pour la dernière ascension de 400 mètres me faisant retournant en Autriche via le col de Öfner Joch (2011 m). J’avais envisagé un instant de repasser sur le versant italien sud pour dormir au refuge « Pier Fortunato Calvi », mais cela aurait supposé encore 300m de dénivelé supplémentaires, et j’estime en avoir eu assez. Ce sera donc une nuit à la « Hochweißsteinhaus ». Laissant un rare troupeau de moutons derrière moi (et rassuré de ne pas avoir rencontré le patou le gardant, un panneau plus bas alertant de la possible présence du monstre et du comportement à adopter si je venais à le croiser), je passe le col à 16h00 tout rond et atteins mon refuge autrichien à 16h20.



Je pénètre alors dans un bâtiment vénérable, construit en 1927 et haut-lieu de la vie montagnarde locale. Par contre, c’est blindé de monde car un club de randonnée y a prévu son étape du soir. Puisque c’est très grand, on me trouve quand même une place, mais l’organisation est un peu militaire : place de dortoir numérotée, distribution d’une petite fiche pour y noter toutes ses consommations, et repas servi comme à la cantine. Il me faudra d’ailleurs choisir les plats à l’avance, puis trouver une place dans le réfectoire surchargé, avec les différents services qui prennent une éternité (amuse-bouche, soupe, plat principal etc etc). Le repas durera bien 1h30, et ce soir avec la présence du large groupe c’est la fête : ça picole, ça parle fort. Je n’ai envie que d’une chose, c’est de me poser dehors au calme avec ma bière, face à la montagne.

Alors qu’on se rapproche enfin de la fin du repas, j’aperçois par la fenêtre 2 silhouettes qui descendent du col en direction du refuge. Je crois les reconnaître et petit à petit mon intuition se confirme : il s’agit du couple de français que j’avais rencontrés à Straniger Alm. Heureux de voir un échappatoire à cette atmosphère un peu trop oppressante et germanophone à mon goût, je les rejoins dès que possible dehors. Nous passerons un moment à échanger sur notre parcours et notre expérience des derniers jours. J’apprends qu’ils sont étudiants, et si dans un premier temps je les avais un peu pris pour des novices car ils partaient tard dans la journée pour arriver tard, c’est en fait plutôt le contraire. Le gars vit à Grenoble et fait du ski rando l’hiver et de l’alpinisme l’été. Quand je leur annonce vouloir prendre la variante demain car le temps est mauvais et le sentier par les crêtes exposé, ça ne les émeut pas plus que ça : ils passeront par en haut quand même. Comment prendre un coup de vieux… J’ai malheureusement pris trop de temps à écrire ce récit, et faute d’avoir amené un carnet de notes cette année, j’ai oublié leurs prénoms, alors que je m’en souvenais parfaitement il y a encore quelques semaines. Coup de vieux numéro 2. En se quittant on se donne rendez-vous au prochain refuge (Porzehütte), sans que je me doute alors que ce n’est pas là que je dormirai demain.





