Lundi 30 juin 2025
| Distance | 8.3 km |
| D+ / D- | 1304m / 138m |
| Heure de départ et d’arrivée | 08h15 – 13h15 |
| Météo | Très chaud puis orages dans l’après-midi |


Kilomètre vertical
Pour l’étape suivante nous sommes un peu hésitants sur l’itinéraire à suivre, physiquement entamés par la chaleur et la difficulté des 2 premières étapes. Une option plus facile serait de revenir au col en bus et repasser sur le versant autrichien pour remonter la vallée de Defereggental, qui semble magnifique. Mais elle suppose aussi plus de kilomètres, et je ne trouve pas réellement d’information fiable sur les éventuels refuges ou possibilités de campement. L’option beaucoup plus directe est de suivre l’itinéraire de la Via Alpina et monter par la Rieserfernerhütte, mais c’est également plus sportif avec une grimpette sèche de presque 1500m. Au vu des contraintes de planning et de météo, c’est pourtant la voie que nous choisissons : des orages sont prévus en début après-midi et le refuge offre la garantie d’un abri. Ce sera donc une journée de presque « repos », avec seulement environ 4h de marche jusqu’au refuge où nous nous arrêterons pour laisser passer les intempéries.
Logistiquement, c’est en revanche compliqué de repartir du col où nous avons fini hier, car pour l’atteindre il nous faudrait prendre 2 bus ce qui décalerait d’autant l’heure du départ (et donc augmenterait les chances d’arriver à 2800m en plein orage…), le tout pour revenir dans la vallée où nous nous trouvons déjà. Même si j’ai mis un point d’honneur à compléter une trace continue, et que Zuzana propose de m’attendre en bas, je trouve l’idée un peu stupide : tant de contraintes, juste pour 5km de descente supplémentaire le long d’une route…et puis je suis un peu fatigué aussi je dois le dire. Ce sera donc ma première « triche » de la Via Alpina, je saute cette petite portion sans vergogne, ni regrets. Ainsi que me le dira plus tard une autre « vialpiniste » croisée sur le chemin, on fait déjà assez de kilomètres -et parfois de détours supplémentaires – comme ça ! (et rien que l’année dernière, je me suis rajouté une belle boucle près de Tarvisio…)
Le compromis pour ne pas sauter toutefois trop de chemin est de prendre le bus jusqu’au lac d’Antholz, au niveau de l’impressionnant stade de Biathlon, où sera fixé le départ du jour. En attendant le bus, nous rencontrons une dame assez âgée avec la figure un peu abîmée, elle nous apprend avoir fait une chute quelques jours auparavant en montant au sommet de la Croda Rossa (2818m). Toujours admirable, et inspirant, de voir des gens de plus de 70 ans capables de tels exploits sportifs…Alors qu’on papote je me rends compte que j’ai oublié mes bâtons au camping, par chance le bus est en retard et j’ai le temps de courir aller les chercher, sinon on était bien….


A 8h15 le bus nous dépose devant la « Südtirol Arena », témoin des prouesses passées des Fourcade et compagnie, puis nous nous mettons en route, d’abord sur une piste bien esquintée et parfois coupée par des éboulements. Ceux-ci semblent être le résultat du violent orage de la semaine dernière dont les locaux nous ont parlés. En plusieurs endroits nous remarquons que le lit de la rivière a été modifié, avec des arbres qui ont maintenant les pieds dans l’eau. Un peu plus loin nous passons devant une superbe cascade, au débit gonflé par la fonte rapide des neiges en cette canicule, puis enfin le chemin commence à s’élever, dans des sous-bois déjà étouffants malgré l’heure précoce. A 9h30 après 200 mètres de montée nous atteignons la Schwörzalm, encore fermée et donc pas de pause café, tant pis. Mais c’est ici que les choses sérieuses commencent, car nous rejoignons l’itinéraire principal menant à la « Forcella Valfredda ». Un mur de 1100 mètres de dénivelé nous fait maintenant face. Tandis que nous faisons une courte pause nous sommes dépassés par un large groupe avançant à vive allure, principalement des filles autour de 16-20 ans, en tenue running et pas du tout équipées pour passer une nuit en haut. Nous comprenons alors qu’elles font juste l’aller-retour au sprint, et qu’il s’agit probablement de biathlètes à l’entrainement…c’est beau la jeunesse !


Rassurés de constater que nous ne sommes pas seuls aujourd’hui dans cette ascension, nous nous élançons sur une pente qui devient de plus en plus raide, à mesure que nous dépassons les étages habituels : sous-bois, puis prés à vaches parfois parcourus par un ruisseau. Ici je commence à traîner la patte, payant les efforts des deux premiers jours et souffrant de la chaleur toujours vive, mais qui heureusement se fait moins suffocante tandis que nous gagnons en altitude. Vivement la pluie. A partir de 2000 mètres nous atteignons la partie minérale, et nous devons d’abord traverser une ravine. Le chemin, lentement emporté par les eaux est completement érodé -aussi j’hésite un moment à poser le pied sur ce qui reste de l’étroit et fragile passage. Zuzana est passée avant, mais nous ne faisons pas le même poids….faute de trouver une alternative je m’y résous et franchis l’obstacle en « vitesse », un peu de terre s’écroule derrière moi mais je suis sauf. Cette cascade a été réalisée par un professionnel: ne faites pas ça chez vous.




Ce point marque aussi une rupture dans l’ascension, car derrière le sentier décrit des lacets plus larges, et une petite brise se lève. Enfin je respire et la progression devient agréable, d’autant que le paysage se fait de plus en plus grandiose, alors que nous nous trouvons maintenant face à une gigantesque paroi dominée par le Frauenköpfl (3251 m).



Près d’un abri de secours à 2350 mètres nous prenons un goûter pour remonter les niveaux de sucre, puis nous engageons dans la redoutée dernière partie, avec une certaine appréhension car s’achevant sur des passerelles en bois décrites dans plusieurs récits comme assez aériennes. Lorsque nous arrivons au pied de l’audacieux passage c’est en effet impressionnant, mais pas suffisamment pour me faire opérer un refus d’obstacle. Il serait intéressant de connaître l’historique de la construction de cette voie, qui permet de gravir un piton sur près de 200 mètres de dénivelé, et au moyen de centaines de marches directement vissées sur la roche. J’élabore la théorie que ce qui semble être le passage naturel – un couloir que je vois sur ma gauche – est peut-être devenu trop instable et dangereux au fil des années et de la fonte des glace. Mais je n’ai à l’heure où j’écris ces mots pas encore pu vérifier cette hypothèse.


Cette partie est évidemment magnifique, mais comme à mon habitude dans les sections un peu vertigineuses je regarde plutôt mes pieds, tout en forçant l’allure pour me sortir au plus vite de l’inconfort. C’est donc hors d’haleine que j’en termine avec le dernier escalier, et débouche au col pour y découvrir un petit lac partiellement gelé, surplombé par la Rieserfernerhütte, notre étape du jour. Il est certes encore tôt mais les prévisions avaient vu juste et le temps commence a se gâter. Et surtout, nous avions prévu de traîner ici avec l’envie de profiter de l’atmosphère de haute montagne.







Depuis le refuge le panorama est effectivement à couper le souffle : nous nous trouvons face à un cirque dominé par des sommets à plus de 3000 mètres. Celui-ci est encore en partie recouvert de glaciers, et sans peine nous pouvons imaginer à quel point la vue pouvait être encore plus spectaculaire dans leur splendeur d’antan…



Quelques gouttes commencent à tomber alors que nous nous installons dans l’immense refuge, l’accueil est très chaleureux et nous nous récompensons de nos efforts par un délicieux plat de macaronis maison. Il semble n’y avoir ici que des randonneurs qui se préparent à redescendre, et pendant un instant nous croyons que nous allons être seuls à y dormir ce soir, jusqu’à ce qu’une randonneuse solitaire arrive dans l’après midi. Nous papotons un peu au dîner, nous apprenons qu’elle vient de Suisse et fait la Via Alpina seule (mais parfois rejointe ponctuellement par des amis), et qu’elle est partie de Trieste cette année. Cela force mon admiration, moi qui suis parti il y a 3 ans…Encore plus étonnant est son embonpoint prononcé, mais qui ne l’empêche pas d’accomplir jour après jour cet exploit physique. Comme quoi, tout est dans la tête pour qui veut s’en donner les moyens. Dehors l’orage gronde, et d’après le tenancier une autre personne devait arriver au refuge ce soir, nous espérons alors qu’elle a annulé ses plans ou fait demi-tour -ce qui sera probablement le cas car nous n’entendrons plus de nouvelles, bonnes ou mauvaises. Plus tard et poussé par la curiosité je tente une sortie sur le perron pour observer les éléments en furie, mais me fait aussitôt engueuler par nos hôtes : « rentre tout de suite, fort risque d’électrocution, le refuge attire tous les éclairs et agit comme une grande cage de Faraday ». Penaud de m’être fait attrapé comme un touriste ignorant, je retourne alors à table pour finir le dessert, avant de regagner notre douillet dortoir, concluant ainsi cette journée courte en cheminement, mais riche en découvertes.


