Mercredi 2 juillet 2025
| Distance | 24 km |
| D+ / D- | 2040m / 480m |
| Heure de départ et d’arrivée | 06h00 – 16h15 |
| Météo | Très beau temps et chaud |
Retour au solo
Vers 05h30 Zuzana quitte le campement pour démarrer un autre périple, qui doit la mener par un bus et plusieurs trains à Brunico, puis Brixen, Vienne et enfin Brno, le tout dans la même journée ! Alors que mon programme du jour est également très chargé, je ne suis pas bien certain d’être le plus à plaindre…
Quoi qu’il en soit je profite de l’alarme pour me lever aussi au chant du coq, ainsi à 6 heures pétantes la tente est pliée et le sac à dos prêt, et contemplant le résultat je me félicite de mon efficacité. Il faut dire que le gros morceau de cette semaine m’attend, car tout ce que nous avons descendu hier, il faut le remonter alors que j’attaque le massif suivant. Si le parcours officiel de la Via Alpina recommande d’utiliser une télécabine pour revenir sur les crêtes, pas question évidemment d’accomplir cette forfaiture. La montée sèche de 1500m de dénivelée sera ma pénitence pour les 5 kilomètres de descente sur route que j’ai escamotés il y a 2 jours. Et puis une fois en haut, ça sera loin d’en être terminé, avec encore 4 à 5h marche pour atteindre la Chemnitzer Hutte, mon objectif du soir. Quand on aime, on ne compte pas !
La journée s’annonçant longue et une fois encore très chaude, il est donc pour moi impératif devant ce défi de me laisser de la marge et de passer le gros de la difficulté « à la fraîche ». Ainsi dès 6h30 après avoir remonté la rivière Aurino, puis dépassé l’imposant château-fort de Taufers (que par fainéantise nous ne sommes pas allés voir hier), je me trouve au pied de la grimpette, devant un panneau peu engageant m’annonçant le sommet (Speikboden) à 5h30. J’enfile alors le bleu de chauffe, et pars avec l’idée que tout ce que je pourrais laisser derrière moi dans les 2 prochaines heures -avant que la température ne monte- sera un bonus et ne sera plus à faire…J’emprunte d’abord un bout de route, puis parmi les multiples chemins qui rejoignent la station de ski j’opte pour le sentier 27. Celui-ci présente l’avantage de ne pas être trop raide et d’offrir une montée régulière (pour ne pas dire monotone), me permettant de conserver un bon rythme d’ascension sans pour autant affoler le cardio. Pour passer le temps je me mets non pas à chanter, mais à compter dans ma tête les innombrables lacets, multipliant le chiffre par x, (x représentant le nombre de mètres de dénivelé moyen que j’estime gagner à chaque virage). Puis évidemment finis par m’embrouiller et perdre le compte exact, tandis qu’avec l’effort physique ma lucidité baisse. Voilà pourquoi quand on aime on ne compte pas.



Les minutes puis les heures s’égrènent et peu avant 9h je passe sous les pylônes de télécabine puis atteins un premier plateau (Speikboden alm). J’ai bien carburé avec 1000 mètres d’ascension en à peine plus de 2 heures. Trop peut-être car alors que j’aperçois au loin les bâtiments de la station de ski, qui ont ici remplacé les alpages, mes intestins entrent en zone de turbulence. Je passe les détails de la visite dans le sous-bois qui s’ensuivra, et dont je ne ressors pas entièrement requinqué. Je ressens une certaine faiblesse qui doit aussi affecter mon jugement car pour une raison inconnue, j’oublie complétement mon plan de prendre de l’eau à la station, et me lance directement dans la seconde partie de l’ascension. Les 400 mètres de montée supplémentaires jusqu’aux crêtes, en plein soleil et avec le ventre qui commence à gargouiller à nouveau seront particulièrement pénibles. J’ai l’impression que mes jambes ne me portent plus. A coups de mini-pauses pour souffler je me traîne tant bien que mal en haut, espérant trouver le secours de toilettes à un restaurant d’altitude situé à l’arrivée d’un télésiège. Espoir douché lorsque je découvre un bâtiment fermé et en rénovation. A moins de trouver une source, il va me falloir faire avec l’eau qu’il reste jusqu’au bout…Et pour l’autre affaire, je vais devoir en ces lieux très fréquentés marcher encore 1.5km sur la crête, pour finalement trouver un coin échappant au regard des nombreux parapentistes qui virevoltent au-dessus du sommet du Speikboden (2518m).


Cette fois-ci l’intoxication passagère semble toucher à sa fin, et je me présente au col de Mühlwalder Joch (2342m) dans un bien meilleur état. Je suis également aidé par le fait que le sentier est devenu beaucoup plus paisible. Je chemine désormais sur un terrain essentiellement plat, avec des vues magnifiques à 360 degrés, tantôt vers les Dolomites au loin, tantôt et plus près, vers les Alpes de Zillertal, la frontière italo-autrichienne et sa muraille de pics et de glaciers.


Je n’ai pas pour autant retrouvé mes jambes de 20 ans. Aussi pendant l’heure et demi qui suit, et alors que le sentier remonte lentement vers l’altitude 2450m avant de redescendre au col Gorner Joch (2276m), je m’applique à garder un rythme très doux. Dans cette partie je me trouve au plus loin de tout secours, ça n’est pas le moment de se rendre davantage malade…




Arrivant au Gorner Joch je resens le besoin de prendre une vraie pause, il est 12h30, cela fait donc plus de 6h que je marche, et il m’en reste 2, ou maximum 3 : il n’y a rien qui urge. J’ai en effet cette fâcheuse tendance à m’inquiéter -inutilement- d’arriver trop tard à l’étape du soir, et à marcher d’un bloc toute la journée avec très peu de pauses pour finalement terminer à 16 heures : sans doute quelque chose que je pourrais (devrais ?) changer. Je profite alors de l’étendue herbeuse pour m’allonger et faire une mini-sieste d’une demi-heure. Il y a pire endroit pour roupiller par une belle journée du mois de juillet…Je tâche également de reprendre des forces en avalant quelques carreaux de chocolat, et replace négligemment la tablette ouverte dans mon sac à bouffe, lui-même placé en haut de mon sac à dos (la raison du « négligemment » expliquée dans quelques lignes).


Sur la prochaine section le chemin en crête se transforme en sentier à flanc de montagne et à en croire la carte semble un peu plus heurté. Toutefois comme toujours je me fie au récit des précédents randonneurs, or personne n’a mentionné de difficulté particulière sur cette étape. Je suis donc un peu surpris quand au moment de passer sous le sommet du Zinsnock (2435m), le décor se fait abrupte, et le sentier oblique soudainement à gauche pour partir tout droit dans la pente. Le genre de passage raide où l’on grimpe en s’aidant des mains. Je me demande alors si le tracé n’aurait pas été modifié récemment, surtout que le “sentier” est assez bousillé et instable: c’est de la terre qui s’effrite sous les pas et ne tient pas en place. Vais-je conclure cette odyssée par une glissade et un rouler-bouler jusque dans la vallée? “Ci-gît le vieux schnock au pied du Zinsnock”, lira-t-on certainement sur une vieille pierre gravée. Heureusement ce début de panique ne durera que le temps de grimper 50 mètres afin de contourner par le haut un surplomb, au sommet duquel je retrouve un terrain un peu plus horizontal et croise alors…Fiona, la randonneuse suisse que nous avions rencontrée 2 jours plus tôt. Elle prend ici une pause panoramique depuis une position que je ne jalouse pas, le vide étant bien trop proche à mon goût. Nous conversons 2-3 minutes en partageant nos expériences respectives depuis la Rieserfernerhütte, elle m’informe qu’elle aussi a connu des problèmes gastriques (a-t-on bu la même eau ?), puis je repars en la laissant à sa contemplation.



Est-ce le fait d’apprendre que je ne suis pas le seul à en avoir bavé aujourd’hui, de savoir que quelqu’un est derrière moi « au cas où », ou simplement d’établir un contact humain après des heures de solitude ? Je dirais sans doute un peu des 3… En tout cas dans l’heure qui suit je retrouve un enthousiasme et une force nouvelle. Je me permets même d’hausser le rythme, impatient d’en finir avec la traversée de ces multiples « cirques/fonds de vallées » (je ne trouve pas le mot exact dans le jargon montagnard), et de découvrir le lac de Tristensee. Ce ne sera pas chose si rapide qu’espérée car à mesure que je m’approche de l’objectif le sentier est de moins en moins large et roulant, mais je finis tout de même par atteindre le lac vers 14h50.





Ses berges attrayantes me convainquent sans peine de m’octroyer une nouvelle pause, mais lorsque je déballe mes affaires pour manger un bout je révèle la scène du crime : le chocolat a fondu et coulé un peu partout. Voilà ce que j’entendais par « négligence ». Il aurait fallu enfouir le tout plus profondément dans le sac à dos, car positionné seulement sous le rabat du haut et malgré 2 épaisseurs de toile (sac dans un sac), le soleil tape fort, même à plus de 2000 mètres. Une erreur de débutant et de fainéant qui me fait pester, et me fait passer les 15 minutes suivantes à nettoyer mes emballages dans le lac. J’espère que les poissons aiment le Ritter sport…

Pendant ce temps Fiona est arrivée, poursuivant notre chassé-croisé, et me demande si j’ai testé la baignade. A vrai dire malgré la chaleur ça ne m’était même pas venu à l’idée, le souvenir du malaise du matin étant encore trop présent. La perspective d’une bière au refuge avec mon bouquin me parle davantage ; et tandis qu’elle se jette à l’eau je reprends la route en nous donnant rendez-vous là-haut (où finalement nous n’échangerons pas davantage, car elle y retrouvera une comparse elle aussi germanophone : n’en parlant pour ma part pas plus que 3 mots je les laisserai à leur discussion). Il n’y a pas long -en principe- entre le lac et la Chemnitzerhutte, mais la méfiance est de mise car d’après plusieurs retours le chemin dans son ultime segment est assez ardu. Et effectivement à moins de 2km du refuge je pénètre dans un chaos de rochers, une pancarte alerte même du danger et invite le randonneur à ne pas traîner sous ce couloir d’éboulement. A voir la taille des cailloux qui pourraient me tomber sur le crâne, je n’ai aucun mal à obéir à l’injonction. En d’autres circonstances, déambuler dans ce labyrinthe à la recherche du meilleur passage pourrait être une activité divertissante, mais après presque 25km et 2000m de D+ j’ai plutôt envie que ça se termine vite. Alors que cette traversée me paraît durer une éternité, je croise d’autres randonneurs venant en sens inverse qui semblent peiner encore davantage, et suis rassuré de constaster que je ne suis pas nécessairement le moins dégourdi…Il me faudra tout de même presque une heure pour franchir ces 2 derniers kilomètres, et au prix d’un dernier effort dans une ultime montée finale, j’arrive enfin au refuge peu après 16 heures. Ouf.




La Chemnitzer Hütte est pendant l’été une entreprise familiale. Il y a là l’affable patron et figure historique des lieux : Roland, au teint rouge que confèrent la vie en montagne et la grappa. Sa fille Isabella, qui vous accueille comme si vous étiez un proche cousin venu pour les vacances, et à qui il ne faut pas une heure pour vous tutoyer et vous appeler par votre prénom. Et encore bien d’autres membres de la tribu dont je n’apprendrai pas le prénom : la femme de Roland, son autre fille, son gendre, et ses petits-enfants qui nourrissent les marmottes (lesquelles vivent a moins de 50 mètres du refuge et sont maintenant presque apprivoisées). Bref, on se sent comme à la maison. Je note une fois encore au passage ce savoureux mélange du Tyrol : si le père a tout du caractère allemand, la fille elle affiche un tempérament et une fougue bel et bien italiens.
En m’installant dans le dortoir je fais également la connaissance de Dirk, un alpiniste allemand qui semble avoir environ la cinquantaine. Son projet pour les vacances est de gravir en solo les sommets du coin. Pour ce faire il se déplace de refuge en refuge, dans lesquels il établit son camp de base pour 2 à 3 jours, puis fait des aller-retours dans la journée vers une des nombreuses cimes à plus de 3000 mètres qui séparent ici l’Italie de l’Autriche. Il est arrivé hier à la Chemnitzer Hütte, et demain il partira vers un nouveau sommet avant de s’installer le soir dans un autre refuge. Il s’excuse d’avance du possible bruit car demain matin il compte partir à 04h30, je le rassure en lui disant que je n’ai pas d’habitude de difficulté à me rendormir. Je le questionne un peu sur les conditions de neige et les glaciers en haut, à ma grande surprise il me dit que cette année la fonte n’est pas forcément plus précoce que les autres, mais est bien d’accord avec moi sur le constat tragique qu’en 2050 ils ne seront plus là. Je passe ensuite la soirée à me reposer, prendre des photos dehors, chose rare je m’offre aussi le luxe d’une douche payante (4 euros), puis enfin je savoure un plat de pâtes qui mérite à lui seul la montée. En Italie souvent pas de sauces grossières, mais uniquement un savant dosage de condiments, tomates, herbes et huile d’olive…c’est délicieux. Dans la salle commune nous serons visités pendant le repas par un groupe de traileurs italiens assez joyeux et bruyants, visiblement des habitués des lieux, et que je verrais enchainer 4 à 5 grandes bières avant de finalement entamer la descente vers la vallée alors que le soleil se couche déjà, au pas de course et frontale vissée sur la tête. Il y en a qui ont la forme ! Quant à moi, après une telle journée je n’aurais pas besoin d’autant d’alcool pour trouver le sommeil, et c’est de bonne heure et avec bonheur que je rejoins ma couche…




