Etape 25 – Weitenbergalm -> Vipiteno – km 550

Vendredi 4 juillet 2025

Distance27 km
D+ / D-720m / 1732m
Heure de départ et d’arrivée06h30 – 16h00
MétéoCaniculaire à l’arrivée, ~30°C

Retour sur terre

Réveillé à 6 heures au son du tintamarre des cloches, je passe la tête par l’ouverture de la tente : ouf, les vaches sont toujours dans l’autre champ.  Le beau temps est de retour et c’est sous un ciel bleu que je remballe mes affaires. Aujourd’hui marque une étape importante dans ma Via Alpina: c’est en effet ici que je vais commencer à m’éloigner significativement de l’itinéraire rouge – ou plutôt couper tout droit pour le retrouver près de 150km plus loin. Il y a plusieurs raisons à cela. Principalement le détour plein nord ne se justifie pas à mes yeux, je suspecte qu’il a été uniquement pensé à des fins promotionnelles, afin que la Via Alpina passe aussi en Allemagne et au Liechtenstein. Ce faisant, il contourne des massifs que je crois être plus intéressants du point de vue des paysages (Alpes de Stubai et l’Ötztal, Texelgruppe…), et que quelques lectures de récits antérieurs me donnent assez envie de parcourir. Et puis il faut bien l’avouer, cela rajoute pas mal de distance pour réaliser ma traversée des Alpes, alors que ma disponibilité est limitée. Puisque je n’arrive à dégager chaque année que 7 à 10 jours, j’estime que faire la boucle complète me couterait 1 ou 2 années supplémentaires… C’est donc sans regret que j’ai décidé de filer droit vers Vipiteno, tandis qu’à l’étape 35 la Via Alpina rouge bifurque en direction de l’Autriche et Innsbruck.

Je m’élance sous un franc soleil, pas mécontent de partir si tôt car la journée s’annonce vraisemblablement très chaude. Le sentier 19 passe au milieu de la ferme, je n’y croise personne si ce n’est quantité de vaches, et il me faudra presque jouer des coudes pour franchir le portail. Le chemin rejoint rapidement un petit plateau qui contient en son centre les ruines d’un ancien alpage (Kreata), puis abandonnant l’itinéraire qui mène à la Brixner Hütte je suis le balisage 17a en direction du Pfunderer Joch (2568m), mon dernier col de ce parcours.

La montée est assez raide dans sa première partie mais je l’aborde avec la sérénité du randonneur qui sait qu’à compter de ce soir, c’est farniente (avec des vacances en famille à la mer prévues la semaine prochaine). Tout juste suis-je entravé par la présence de nombreuses vaches qui comme à leur habitude aiment se planter au milieu du chemin, et m’obligent parfois à des évitements en coupant tout droit dans la pente.

Cela reste un bien maigre inconfort, en comparaison de la beauté des paysages qui m’entourent. D’ailleurs plus je monte, plus cette vallée perdue révèle d’incroyables secrets. En atteignant un haut plateau à 2300m d’altitude, cela devient carrément épique : je ne sais plus où donner de la tête, prenant des dizaines de photos, et me demandant pourquoi cet endroit n’est pas davantage connu (tout en me félicitant qu’il reste encore des choses a découvrir, et qui ne fassent pas déjà l’objet de millions de posts instagram). Je rencontre assurément dans cette section entre la Weitenbergaml et le Pfunderer Joch parmi les plus beaux décors alpestres que j’ai vu de ma vie (je souligne volontairement, car j’en ai vus quelques-uns).

Une raison à ces superlatifs se trouve certainement dans la géologie atypique du massif, car ici même à haute altitude la roche fait place à la verdure, et on aurait vite fait de se croire dans les Highlands écossais (décidemment, après les iles du Pacifique hier, on pourra dire que j’en ai vu du pays…). Et puis pour rester objectif, il y a bien sûr tout un contexte derrière mon euphorie: c’est mon dernier jour, sous la lumière matinale…

En montant j’ai retrouvé du réseau, et avant de continuer plus avant je consulte les offres, puis réserve un logement pour ce soir. Sur l’instant cela me paraît plus qu’incongru de payer en ligne ici, au milieu de nulle part (et donne certainement matière à réflexion sur notre monde numérique), mais je n’ai aucune envie de reproduire l’expérience de l’année dernière, et d’errer en ville à mon arrivée à la recherche d’une chambre. Elle est loin l’époque où on pouvait simplement se pointer sans réservation à l’hôtel du centre de n’importe quelle bourgade… Enfin, voilà une bonne chose de faite, et je repars à l’assaut du Pfunderer Joch l’esprit tranquille.

Sur le haut plateau j’évolue à présent sous la surveillance du maitre de ces lieux, le Gran Pilastro qui domine le massif du haut de ses 3509 mètres. Juste après avoir franchi une vaste zone humide j’entre dans un musée géologique à ciel ouvert, et parmi les curieuses formations rocheuses évoquant autant de montagnes en modèles réduits, en découvre une qui semble comme une exacte réplique du Mont Saint-Michel.

Levant la tête vers le col qui est maintenant tout proche, je suis un peu inquiet en le voyant entièrement sous les brumes. L’homme de la Weitenbergalm m’avait informé que le sentier dans la dernière partie pouvait être instable (petites pierres). J’espère ne pas avoir à gérer un passage stressant si près de la fin…Le plafond nuageux qui descend et couvre peu à peu les pics derrière moi m’offre en tout cas l’occasion, en me retournant, de magnifiques et dramatiques photos. Et finalement il ne descendra pas plus bas, pas plus que le chemin ne se révèlera particulièrement difficile. Nous nous sommes peut-être mal compris sur l’itinéraire, décrivait-il éventuellement un autre col ? En tout cas, la plaque de neige qui couvre encore le Pfunderer Joch en ce 4 juillet confirme que le climat local doit être souvent perturbé.

Sur l’autre versant, je découvre une vallée beaucoup plus évasée et un sentier bien moins raide, et amorce mon long retour vers la civilisation. Il ne s’y passe pas grand-chose : c’est moins spectaculaire, peu touristique (pas d’auberge en vue) et avant tout laissé aux vaches, que je dois à nouveau contourner en plusieurs endroits. Pourquoi aller paître dans l’herbe verdoyante quand on peut juste rester planté au milieu du passage? Si je parlais vaches, je leur poserai la question. Le seul fait notable dans cette longue descente se produit lorsque je me fais dépasser par un vélo. Je ne l’ai pas du tout entendu arriver derrière moi, et je sursaute comme si j’avais soudainement rencontré un revenant. Le cycliste s’excuse et nous rigolons de la scène. Le mystère demeure à ce jour, il est invraisemblable qu’il soit venu l’autre versant donc il est certainement monté par ce même chemin, mais je ne l’ai pas croisé avant. Peut-être avait-il caché son vélo au col derrière un rocher, pour aller faire un tour à pied ? Le sentier se transforme en piste carrossable, les alpages en forêts, et je quitte définitivement la haute montagne.

Il est presque déjà midi, lorsqu’après 1200 mètres de descente je touche terre – ou plutôt asphalte – au niveau du hameau de Fossa Trues. Je n’en ai pas terminé pour autant, puisque m’attendent encore presque 13km et 500m de dénivelé négative pour rejoindre Vipiteno. Je traverse alors la route et m’engage dans le long Val di Vizze, sur le sentier rouge marqué « 1 ». Un petit kilomètre plus loin, ici quelque part entre Fossa Trues et Borgone, et certainement très profondément sous mes pieds, des hommes sont en train de creuser le nouveau tunnel de base du Brenner : projet pharaonique s’il en est et futur second plus long tunnel du monde avec ses 55km.

Ces 13 km me seront assez pénibles, du fait de la chaleur, du peu d’intérêt comparativement au trajet du matin, et de l’obligation qui m’est faite de devoir emprunter à plusieurs reprises des routes asphaltées. Lesquelles me flinguent complètement les pieds : je peux déjà sentir des débuts d’ampoules. Heureusement que je ne repars pas demain…En outre, aucun endroit pour une pause « récompense » (par là j’entends quelque chose à boire ou à se mettre sous la dent). La vallée est peu habitée, il y aurait bien une auberge au village d’Avenes mais celui-ci se trouve perché sur le versant opposé, et le visiter me contraindrait à un trop grand détour.


Il va me falloir patienter jusqu’à Wiesen, presque dans les faubourgs de Vipiteno, ou je déniche enfin une terrasse agréable face au grand parc municipal. La chaleur est bien trop étouffante pour manger, mais je ne refuse pas une Weizenbier bien fraîche. Impatient d’en finir, j’en repars assez vite, et après 3 ultimes kilomètres en environnement urbain, j’atteins mon terminus dans le centre de Vipiteno. Cette ville, près de laquelle passent chaque jour des milliers de camions empruntant le très fréquenté corridor du Brenner, est bien plus jolie que ce à quoi je m’attendais. Et également touristique : il y a foule sur chaque terrasse de café, de restaurant. Dans ma fatigue et dans ma crasse, je me sens un peu anachronique en ces lieux, et presque gêné d’aller manger au restaurant seul. Si bien qu’après la courte visite du centre historique, puis l’achat de divers souvenirs (fromages, speck), je préfère faire quelques courses alimentaires et rentrer à mon appartement me préparer un bon dîner au calme. Point de festin comme l’année dernière, mais une célébration intime, pour conclure cette année numéro 3…

Et une année de plus au compteur

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Bilan & observations en vrac:

  • Je le savais, mais le sud-Tyrol est très touristique. Il est évidemment difficile de résister au « buzz » propagé par internet et les réseaux sociaux. J’ai balancé tout l’hiver sur l’itinéraire à suivre : bien entendu que les Dolomites c’est exceptionnel, j’y suis déjà allé et y retournerai avec plaisir. Mais la montagne c’est beau partout et on se sent infiniment plus récompensé lorsqu’on sort des sentiers battus…Je suis aujourd’hui complétement certain d’avoir pris la bonne route (et de toute façon, le choix s’est imposé à moi, après plusieurs réponses négatives de refuge complets 6 mois à l’avance près des Tre Cime et Braies). Sur sur mon option nord, la disponibilité des campings et des refuges n’a quant à elle pas du tout été un problème, l’affluence se concentrant dans la vallée. Nous n’étions que 3 à dormir à la RieserfernerHütte alors que c’est un endroit incroyable ! Pourtant à Antholz et Obersee c’etait bien chargé…mais dans ce coin ça n’est pas du tourisme de randonneurs.
  • Énorme surprise sur la section Chemnitzerhutte – Vipiteno, j’avais lu et vu que c’etait beau, mais je ne m’attendais pas à ce point. Donne envie d’y retourner en mode moins pressé.
  • La seconde étape a été pour moi la plus pénible (chaleur, itinéraire inabouti, très beau dans sa première partie mais une ascension du Hallscharte épuisante et pas inoubliable dans sa seconde). Y-avait-il une autre option ? Je ne peux pas refaire la météo, et la géographie impose des compromis…
  • Et au final je n’ai pas à me plaindre sur la météo et me considère chanceux, à voir la météo qu’ont connu ensuite les juilletistes…La canicule est embêtante, mais elle n’empêche pas de progresser en montagne (contrairement au froid et à la pluie sous un ciel bouché)
  • J’ai senti être un peu moins bien préparé physiquement cette année, ça se voit dans les moyennes (2024 : 23km et 1250m D+ par jour, 2025 : 20.5km et 1110m D+ par jour). Mais la difficulté, la longueur des ascensions et l’altitude moyenne sont en même temps incomparables. Le facteur chaleur a joué aussi…
  • J’ai abandonné la quête de l’ultra-léger absolu en remplaçant mon sac à dos de 500g par un sac plus standard mais avec armature d’1.1kg, et malgré ces 600 grammes de plus à porter, j’ai eu moins mal au dos. Je repartirai certainement avec le même.
  • Apres 4 années de bons et loyaux services mes chaussures sont cette fois-ci bel et bien foutues. Ça a été un peu un motif d’inquiétude pendant les 2/3 tiers du trajet (j’ai recollé plusieurs fois à la colle forte, un bout de semelle qui commençait à partir). Un crève-cœur car j’en étais extrêmement satisfait mais problème, elles ne se fabriquent plus. Il va falloir confirmer le remplaçant.
  • La première expérience de vrai bivouac en altitude s’est bien passée, je compte certainement renouveler l’expérience (ça fait aussi baisser le budget)
  • J’ai croisé mes premiers compères Via Alpinistes ! Il est vrai que peu font la traversée comme moi sur plusieurs années, et ceux qui tentent l’itinéraire rouge d’une traite partent en général fin mai ou début juin. Aussi pour les rencontrer il faut que je me trouve au bon endroit au bon moment…cette année en partant début juillet ça coïncidait, étant grosso modo à 3 semaines de Trieste. Toujours sympa en tout cas d’entendre l’expérience des autres et partager des impressions sur le chemin.
  • Dans ce récit je n’ai eu cesse de me demander si je devais donner pour le nom des lieux la version allemande ou italienne…J’ai choisi l’allemand la plupart du temps, car beaucoup plus parlé sur place. Sauf quand la version italienne était – suivant ma propre observation- plus répandue, sans doute j’imagine pour des raisons touristiques (exemple : les cascades de Riva). Mais parfois cette région c’est pas simple, et j’ai forcément fait des erreurs !