Dimanche 2 juillet 2023
| Distance | 29 km |
| D+ / D- | 974m / 1125m |
| Heure de départ et d’arrivée | 7h30 – 17h30 |
| Météo | Ensoleillé, ~23/24°C |

Au réveil rien n’est sec mais le ciel est bleu. Un écriteau posé sur le séchoir à linge m’invite à sortir par la porte de derrière. Je pars de bonne humeur, d’autant qu’aujourd’hui marque la fin de mon premier objectif : rejoindre Idrija en 3 jours. Je m’étais dit que si j’y arrivais, j’avais de bonnes chances d’aller au bout, Je serai presque à la moitié de la distance, en ce qui concerne la traversée de la Slovénie, Plutôt le tiers en ce qui concerne la difficulté. Pour cadencer et motiver encore davantage ma marche, je me lance un podcast. Sujet du jour : le changement climatique, toujours bon pour le moral.
En sortant je découvre les vestiges archéologiques que je n’ai pas eu l’occasion de voir hier. Hrušica est le site d’un ancien camp fortifié romain. A 7h30 du mat’, pas le moment d’en voir plus donc je file, et poursuis ma piste forestière d’hier. Celle-ci s’élève lentement, pendant 2 bonnes heures, jusqu’à atteindre l’altitude de 1173m, peu avant le refuge de « Koča na Javorniku ».


Seul « événement » dans cette montée un peu monotone : je croise un bûcheron dans un virage. Un jeune d’une vingtaine d’années, lui et moi seuls, loin de toute civilisation, lui avec sa tronçonneuse. J’ai une pensée pour cette fameuse scène des « Bronzés font du ski »
[Marie-Anne Chazel] : « Figure-toi que l’autre jour je me suis retrouvé bloquée dans un ascenseur avec un type que je ne connaissais pas, c’est fou tout de suite les idées qu’on peut avoir ! «
[Michel Blanc] : « Oui voilà, ce genre d’idées »
Je me retourne quand mème 2-3 fois, histoire de vérifier s’il ne lui a pas pris le genre d’idées de me suivre, pour me découper avec sa tronçonneuse. Heureusement, il y a moins de psychopathes dans la vraie vie que dans les films.
En atteignant enfin la fin de cette montée, les vues s’ouvrent, sur un décor mi-vosgien mi-jurassien. Plusieurs fermes typiques agrémentent le décor.
Le refuge en haut n’a pas l’air ouvert et il est de toutes façons encore tôt pour une pause bière, donc j’amorce immédiatement la descente. Dans celle-ci on change de paysage, et on voit enfin les Alpes au nord au loin (massif des Alpes Kamniques). Ce n’est pas dans cette direction que je vais, mais quand même, je me rapproche. A une intersection je rate la balise rouge et blanche et part sur une piste qui semblait plus accueillante. C’est une des caractéristiques de la Via Alpina en Slovénie : il semble parfois qu’elle fait exprès de quitter la voie qui semble naturelle, pour s’embarquer dans des sentiers peu visibles. Histoire qu’on les rate sans doute. Je m’en aperçois après 1km, trop tard pour faire demi-tour mais c’est pas grave, ça ne me fait pas un gros détour pour arriver au village de Črni Vrh, en fait c’est peut-être même plus rapide, et joli aussi, car passant par plusieurs fermes d’altitude.



C’est dimanche matin et j’arrive a Črni Vrh en pleine heure de la messe. Je le comprends car le bistrot du village est bondé. C’est la même coutume qu’en Tchéquie, où elle a tendance à disparaître peu à peu, sauf qu’ici elle est encore bien vivace : pendant que les fidèles sont à l’église, les hommes sont au bar. A chacun sa religion. Quand je m’y m’arrête pour faire une pause, on me dévisage un peu comme si j’étais entré dans un saloon du Far West. La Slovénie est un pays plus « occidental » que la Croatie ou la Serbie par exemple, mais ca reste quand même une république de l’ancienne Yougoslavie, et dans ses campagnes profondes on sent parfois ce petit côté méditerranéen et macho. La terrasse étant pleine, je me cache à l’intérieur, et m’offre une bière et un cône de glace a la vanille pour recharger les batteries après ces 12km de marche. Avant de repartir, je m’arrête également à la fontaine sur la place du village, pour remplir mes bouteilles d’eau. J’en profite également pour changer mes semelles de chaussures, et remettre une paire qui a fini par sécher, après le déluge d’hier. J’ai en effet 2 paires de semelles intérieures et c’est la meilleure idée que j’ai eu dans ma liste de matériel. Quand une paire est mouillée, ou que je commence à avoir mal aux pieds ou avoir des ampoules, je peux changer de semelles et remettre ainsi le compteur a zéro. Ca frottera à un autre endroit, et pendant ce temps le début d’ampoule localisé ailleurs se « repose » .


Sur les coups de 11h je me remets en route, pas pour longtemps car au bout de 5 minutes je me rends compte que j’ai oublié mes bâtons. Acte 2, et +600m de marche dans la vue. Ils ne sont pas à la fontaine, c’est donc qu’ils sont au bar, et en effet ils les avaient mis de côté pour moi. Je repars alors dans la même direction, avec les bâtons cette fois. La carte indique une douzaine de kilomètres pour Idrija, je pense – naïvement – que j’y serai pour le déjeuner. Le début se fait d’ailleurs assez bien, sur des petites routes de campagnes serpentant de fermes en fermes, au milieu de prairies verdoyantes.



Mais à la fin cette partie est tout de même assez longue et pas loin d’être ennuyeuse. Le temps file et je commence à avoir faim. Le problème, c’est qu’il n’y a absolument nulle part où se poser. Je me fais d’ailleurs la réflexion : depuis mon départ, hormis dans les villages, je n’ai vu que très rarement des bancs, tables ou aires de repos sur les bords du chemin. Alors qu’en Tchéquie on a l’impression d’en voir partout. Comme je ne compte pas m’asseoir sur le bord de la route, ou au milieu d’un pré, je pousse jusqu’à la forêt mais elle n’est pas plus accueillante : pas une seule pierre large pour poser une fesse, et c’est humide partout. Je suis contraint de m’engager dans la descente vers la rivière Idrijca (350m de dénivelée négative). Celle-ci est horrible. Le chemin est étroit, à peine visible, très raide et hyper glissant (boue et racines d’arbres cachées sous les feuilles). J’ai rarement vu une descente aussi « casse-gueule » dans un endroit qui n’est même pas encore de la montagne…J’y vais tout doucement, je glisse plusieurs fois sans conséquence en arrivant toujours à me rattraper, et je finis par atteindre le fond de vallée à 13h30. Le chemin balisé suit alors la route pour quelques mètres, jusqu’à un pont suspendu qui permet de rejoindre le sentier piéton situé sur l’autre rive. Au pied de ce pont, une superbe plage au bord d’une eau couleur émeraude. Enfin un bel endroit pour pique-niquer. Je prépare mon sandwich avec beaucoup de précaution pour ne pas souiller les lieux avec de l’huile de conserve de thon. Je profite du calme pendant 10 minutes, avant de voir débarquer un groupe, dont le chien viendra renifler de près mon repas. Fin du moment féerique.



Je repars direction Idrija commençant à me demander où je vais dormir ce soir. La piste suit un étroit canal pendant plusieurs kilomètres. J’apprends plus tard qu’il était utilisé pour des mines de mercure, parmi les plus grandes du monde, et qui ont fait la célébrité de la ville. Apparemment le patrimoine technique est classé UNESCO et les mines (aujourd’hui arrêtées) se visitent. Je ne le savais pas, dommage, et de toutes façons je n’avais pas forcément le temps.


A Idrija j’envisage de faire quelques courses de ravitaillement mais ce plan tombe vite à l’eau. On est dimanche et contrairement a la Tchéquie les magasins sont fermés. Enfin tant mieux après tout. Initialement j’avais prévu de dormir en ville, ça devait être ma récompense pour les 3 jours et mes presque 100km de marche. Sauf que je n’ai rien trouvé d’enthousiasmant sur Booking, et quant à faire du porte-à-porte maintenant…c’est la même chose qu’hier, il est tôt, même pas 15h, et c’est dommage de s’arrêter alors que je peux encore m’avancer d’un bon bout. Je me trouve un bar pour m’asseoir et réfléchir, et tandis qu’on me sert, un vent fort se lève, manquant de faire s’envoler tout ce qu’il y a sur la table. Les nuages noirs se font de plus en plus présents et la météo pour cette nuit semble très incertaine.
Encore traumatisé par l’averse d’hier, je craque à nouveau et abandonne l’idée de camper. Ca sera la seule fois de cette marche que ça n’était pas complètement justifiable. Mais je me sens bien entamé physiquement et j’ai besoin de bien récupérer. Le 3ème jour est paraît-il toujours le plus dur. Le 1er jour c’est la grande forme, les batteries sont pleines. Le 2nd, ça commence à grincer. Au 3ème, le corps dit : « ah tu as décidé de continuer tes conneries, attends il faut que je change de programme interne pour activer le mode longue distance. ».
Depuis le bar à Idrija, je trouve une auberge sur ma route et y réserve la dernière chambre disponible. Mais pour la mériter, m’attendent encore 2h de marche et 500m de montée – c’est le deal que j’ai négocié avec moi-même.
Je m’élance sans plus aucune pression, soulagé d’avoir réglé ce problème. Je suis crevé mais je sais que j’arriverai a destination, par la simple motivation de savoir qu’un lit et un repas m’attendent à l’arrivée. Même si je dois mettre 2 ou 3 heures, ça n’a plus d’importance, j’ai maintenant tout mon temps. La montée est raide mais offre de beaux points de vue sur Idrija. Alors qu’il y a une heure l’orage semblait prêt à exploser, le temps se dégage et est à nouveau ensoleillé. Je commence à culpabiliser d’avoir réservé une chambre trop vite.

A mi-montée j’entends du bruit devant moi. Je dois presque me pincer pour y croire : un autre randonneur. Jusqu’ici le chemin était désespérément vide, mis à part des promeneurs du dimanche aux abords des points touristiques. Là c’est un gars qui a la trentaine, avec un gros sac à dos, et qui boite bas, semblant être blessé à la cheville. On papote 5mn, j’apprends qu’il vient d’Angleterre et qu’il s’appelle Ryan. Plus courageux que moi il fait essentiellement du bivouac. A trop marcher trop longtemps dit-il, il s’est fait une sorte de tendinite et a du ralentir l’allure. On échange un peu sur l’état du chemin et de sa signalétique hasardeuse: il n’a pas goûté non plus à la descente vers la rivière…On se quitte en se souhaitant bonne chance, sans se douter que nos routes se recroiseront (la suite au prochain épisode)



Vers 17h30, j’arrive enfin à ma destination (Ledinsko Razpotje) à l’auberge dite de Kmečki Hram. Pas mal de monde en terrasse, en pleine digestion. Il semblait y avoir un repas de famille ce midi, ou une fête. Je prends possession de ma chambre, elle est gigantesque, en fait c’est un appartement avec 3 chambres et pas moins de..10 lits. Je regrette de ne pas avoir pris le numéro de mon collègue dans la montée, on aurait pu partager, d’autant que c’est pas donné. C’est d’ailleurs à cet instant que je comprends à quel point Booking pratique des frais scandaleux pour les hôtes, en tout cas en Slovénie. 60 euros en ligne, mais 40 tel qu’affiché sur place. 33 % de charge pour seulement offrir un service de réservation en ligne…Résultat, alors que je prends mon repas (escalope gigantesque + frites + mayonnaise, indispensable pour se refaire), la patronne me dit que le dîner, c’est pour elle, et que je ne paierai que les boissons. Elle a du estimer que j’avais déjà payé assez cher avec le logement. Sur la note, alors que j’avais pris 2 bières, je vois qu’une seule est comptée. Quand je le lui fais remarquer elle me fait comprendre d’un geste que tant pis, elle s’en fiche. Il faut aller dans cette partie du monde pour voir ça…Du coup, mon étape du jour que je trouvais trop luxueuse, redevient financièrement acceptable (surtout que le petit déjeuner est aussi inclus), m’ôtant toute culpabilité d’avoir lâchement cédé aux sirènes du confort. Le temps de prendre 2-3 renseignements sur la journée du lendemain, et mettre mes appareils en charge, et je vais me coucher. Encore une journée positive à la fin.


