Lundi 3 juillet 2023
| Distance | 20 km |
| D+ / D- | 667m / 1051m |
| Heure de départ et d’arrivée | 08h30 – 14h15 |
| Météo | Bruine le matin, pluie à midi, très fortes averses et orages l’après-midi ~20°C |

La mise en route n’est pas aussi matinale que les jours précédents. Il y a bien sûr le petit déjeuner mais aussi et surtout quelques problèmes techniques à régler. Hier j’ai connu des débuts d’ampoules, que j’ai traités avec des pansements de protection prévus à cet usage. Malheureusement, les pansements se sont retournés et décomposés dans la chaussette, et leur colle a fusionné avec le mérinos. Pendant que c’était encore humide, c’était supportable. Mais maintenant que ça a séché, ça forme comme une croûte/plaque et je ne me vois pas marcher avec ça toute la journée. Bref je passe bien 20 à 30mn à gratter la colle au-dessus du lavabo. Je ne recommande pas les pansements anti-ampoule Decathlon.
Pour ajouter à cela, le temps est vraiment moche ce matin. Très couvert, et de la fine bruine tombe sans discontinuer. En même temps, ça colle bien avec les paysages aux alentours faits de pâturages et de collines verdoyantes. Ca donne une atmosphère écossaise à l’ensemble qui n’est pas pour me déplaire. Et ça fait du bien de marcher au frais. Je pars d’un pas guilleret, et installe mon k-way en haut du sac, car quelque chose me dit que je vais en avoir besoin.
Tout juste après avoir quitté l’auberge, je tente un raccourci par un chemin, pour éviter de marcher sur la route. Au bout de 300 mètres, le chemin pourtant indiqué sur la carte est coupé net par une clôture de champ. Pas question de subir l’humiliation de faire demi-tour dès le départ. J’enjambe la clôture et file tout droit sur le tracé virtuel du chemin. Le champ semble vide, j’espère juste qu’il n’est pas occupé par un taureau solitaire. Au loin j’aperçois des chevreuils, tandis que dans le champ à côté, des chèvres se manifestent bruyamment. Voyant un humain approcher, elles ont du s’imaginer l’heure du gueuleton arriver. C’est champêtre.


Je finis par m’extirper de ce passage privé avant d’être repéré, et rattrape le chemin balisé au niveau de Pečnik. Il y a 2 routes possibles à compter de cet endroit, je choisis celle passant par Ledine car le village a l’air joli. Et en effet il l’est. Peu avant de l’atteindre, on y voit des grands séchoirs à foin démontés.




La route s’élève ensuite quelque peu pour passer dans des bois. Alors que je me rapproche du refuge « Planinska koča Mrzlk », me demandant si j’allais faire le petit détour y menant dans l’espoir d’y trouver café ou chocolat chaud, je décide finalement de continuer. Sauf que j’ai déjà raté l’embranchement et doit revenir 200 mètres en arrière. A moins de prendre ce petit chemin qui coupe…La suite évidemment, c’est que je commets cette idiotie, et me retrouve dans un sentier mal tracé et avec des herbes hautes, dont je ressortirais avec les pieds trempés. Ils le seront jusqu’à l’arrivée. Heureusement je ne me sentirai pas idiot très longtemps, car un peu plus loin la route officielle passera elle aussi par des herbes hautes, je n’aurais donc pas pu l’éviter. La Via Alpina continue de serpenter dans des collines à hobbits, dans un cadre idyllique de petites fermes et pâturages, qui donnerait presque envie de s’y installer avec des bêtes pour se retirer du monde moderne.







Le ciel se couvre de plus en plus, et la bruine a laissé place à des averses intermittentes, de plus en plus soutenues. Le k-way que j’enfilais et enlevais au gré des passages pluvieux ne me quittera maintenant plus. En passant sur des crêtes non loin du village de Jazne, la vue devient de plus en plus spectaculaire. On rentre vraiment petit à petit dans le domaine de la montagne. Depuis mon départ, ce sont sans conteste les plus beaux paysages et j’en profite à plein malgré la météo.



En me dirigeant vers Cerkljanski Vrh, le chemin passe par une ancienne ferme nommée « Slabe » où il se perd un peu. Et derrière cette ferme, près d’un petit sanctuaire, il disparaît complètement. Nouvelle navigation à la boussole. Je retrouve le sentier quelques centaines de mètres plus loin mais pas pour longtemps : il est à nouveau interrompu, un fermier a monté un enclos à vaches par dessus. Je suis contraint de le contourner en passant dans un champ d’herbes hautes, trempées évidemment. 50 mètres plus loin, je vois la marque rouge et blanche peinte sur le côté d’une grange, qui prouve bien que le chemin passe bien ici mais que le riverain s’en fiche. Sympa…



Il pleut maintenant de plus en plus si bien que je n’ai aucune motivation de faire une pause pour manger un morceau. De toutes façons le petit déjeuner n’est pas encore si loin. Je prends la décision de descendre vers Cerkno au plus vite, ville de moyenne importance où je compte me ravitailler avant d’attaquer la montagne (notamment l’ascension de Porezen – 1632m- que j’envisage d’effectuer cet après-midi)


Rien de très passionnant dans cette longue descente si ce n’est que je me perds encore un instant, et dois faire confiance à un chemin qui n’est pas sur ma carte, mais va dans la bonne direction d’après le GPS. Peu avant Cerkno, j’observe également une très beau séchoir à foin. Je me demande ce que l’objet fait au milieu de la forêt, et en conclus qu’il y eu peut-être ici jadis des prairies, sur lesquelles les arbres ont repoussé depuis.


J’atteins Cerkno vers 14h10, et me dirige vers le magasin pour reconstituer mes stocks. Principalement de snacks, fruits et autres sucres rapides à prendre en marchant.
Comme trop souvent dans nos magasins modernes, on me balance tout sur le tapis en me laissant à peine le temps de ranger mes courses. Je vois bien que je dérange l’implacable cadence, je paie donc rapidement et claudique avec mon sac vers l’extérieur du magasin, pour finir de réorganiser mes affaires sur le trottoir. Ceci fait, il ne me reste plus qu’à refaire le plein d’eau à la fontaine proche avant de pouvoir me remettre en route. Alors que je remplis mes gourdes, je remarque que dans la précipitation, la fermeture éclair de mon sac banane était restée ouverte. Je vérifie que tout s’y trouve, mais n’y voit pas ma carte bancaire avec laquelle je viens de payer. Je fouille mes poches, rien non plus. C’est la panique. Je retourne au magasin, demande à la caisse, ils n’ont rien trouvé. Je regarde sur le trottoir à l’endroit où j’ai rangé mes courses, rien non plus. Pas de plus de chance en retournant à la fontaine. C’est perdu, ça a du glisser du sac banane et tomber sur le trottoir quand je me suis penché en avant. Quelqu’un l’aura ramassé et gardé, ou ramené à la police. Je dois prendre en compte le scénario pessimiste et décide d’appeler ma banque pour la faire bloquer au plus vite. Il commence à pleuvoir, je m’installe à l’abri sous un chapiteau en centre-ville, dressé pour je ne sais quelle fête locale, et compose le numéro de la hotline. Après 15mn d’attente, j’arrive enfin à avoir quelqu’un. Sauf que pendant ce temps, la pluie s’est intensifiée, et c’est le déluge complet. Je n’entends absolument rien au téléphone, et suis obligé de crier pour me faire entendre. Au bout de 2 minutes la communication se coupe, sans que je sache si la personne a complété ou non la procédure.
C’est l’orage parfait, tant dans la succession des événements, que dans la vraie météo. La pluie tombe toujours plus fort et je me demande si je vais me prendre le chapiteau sur la tête pour parachever l’œuvre. Ca a quand même l’air d’être costaud. Par contre, ça ruisselle de partout dans les rues et ça commence a être inondé à mes pieds. Je suis obligé de monter sur la scène pour mettre mon sac et ma personne à l’abri. Il ne me reste plus qu’à donner un spectacle.
Après 30mn d’un bel orage comme on en voit qu’à la montagne, ça se calme enfin. Je rappelle la hotline, attends à nouveau 15mn, et finis enfin par être assuré que ma carte est bien bloquée. Je ne lance pas une coûteuse procédure de remplacement d’urgence, car j’ai une autre carte, de l’époque ou je travaillais une semaine par mois à l’étranger. Je vais me débrouiller avec celle-ci en faisant un virement d’un compte en l’autre, échappant ainsi à mon destin de SDF en Slovénie.
Ce coup de stress passé, je suis tout de même un peu désorienté. Cet orage est terminé mais c’est pas pour autant que le ciel est devenu bleu. En fait, ça gronde encore au loin, et en regardant le radar météo sur mon application, un autre orage semble se diriger tout droit vers Cerkno. Il me paraît un peu hasardeux de me lancer maintenant dans l’ascension de Porezen.


Je décide alors d’attendre et voir, mais sans trop savoir quoi faire et probablement encore un peu sous le choc, je tourne en rond dans la ville comme un poulet sans tête, faisant tout de même un peu de repérage de logements. Il y a un hôtel mais ça a l’air d’être un gros truc qui va pas être bon marché (centre de wellness). Après 45mn de ce manège et sans miracle météorologique en vue, je finis par m’asseoir à l’abri dans un bistrot car un nouvel orage pointe son nez. Nouvelle douche qui arrose les rues de Cerkno tandis que je bois ma bière Laško. C’est à ce moment-la que je fais le deuil de mes plans pour la journée. Pas d’amélioration des prévisions en vue pour les prochaines heures. Porezen c’est une montée de 1300m de dénivelée, et une crête nue certainement pas agréable sous un orage. La défaite admise, je me remets en quête d’un logement en dur car la nuit s’annonce agitée. Je regarde la liste des hébergements libres sur Booking, et fort de mon expérience d’hier vais directement taper à leur porte pour obtenir un prix plus raisonnable. Le 1er dans la liste est un appartement proposé à 80 euros, très cher pour la Slovénie mais on ne sait jamais. Je sonne et un vieux bonhomme m’ouvre, il ne parle que slovène et un peu d’allemand, mais on arrive à se comprendre quand même. Je demande innocemment si c’est libre et combien ça coûte (comme si je ne l’avais pas déjà vu sur Booking), et il me répond 50 euros. Décidément …
Pour ce prix je dis ok, malheureusement lorsqu’il ouvre l’appartement, il s’aperçoit que c’est le bordel complet a l’intérieur (je vois en effet par terre tous les matelas nus et le linge), et il me bredouille un truc à propos de sa femme qui n’est pas ici, et que donc il ne peut pas me louer l’appartement. Dans mon état de lassitude j’aurais dormi par terre s’il le fallait mais bon…bien obligé de repartir après m’être vu indiquer la sortie. Je me demande toutefois comment ils auraient fait si quelqu’un avait réservé (et payé) en ligne.
En partant, le bonhomme pris de pitié voit que mon sac est trempé, il bidouille quelque chose dans mon dos et le secoue pour faire tomber l’eau (détail important pour la suite)
Le second logement en partant du moins cher est l’hôtel, c’est le même prix indiqué (autour de 80 euros en ligne pour une chambre simple). Je pose la même question à la réception et bingo, le prix c’est en fait 50 euros. Je crois que je vais commencer à boycotter Booking, chose que j’aurais du faire il y a bien longtemps.
Du coup je ne cherche pas plus loin et me pose enfin, la chambre est pas mal et l’accès à la piscine couverte de l’hôtel est gratuit, ainsi que m’en a informé la réceptionniste (ce à quoi j’ai répondu que j’étais pas vraiment équipé, niveau maillot de bain). Et de toutes façons, j’ai déjà vu assez d’eau aujourd’hui. Je me dis malgré tout que l’endroit serait sympa pour revenir en famille.
Je passe un peu de temps dans la chambre à souffler sur mes chaussures avec le sèche-cheveux, même si ça semble aussi efficace que de vider une baignoire avec une petite cuillère. Au bout d’un moment cette activité ingrate finit par me lasser, alors je me change puis descends dans le « lobby » (comme les hôtels aiment a l’appeler pour faire croire qu’ils sont classe), histoire de rédiger mon carnet du jour en buvant une bière au chaud et dans des vêtements secs.


Tandis que je suis plongé dans mes notes de la journée, quelqu’un m’apostrophe et en levant la tête qui vois-je ? Ryan, qui a lui aussi pris une chambre a l’hôtel. Il est arrivé un peu plus tard que moi à Cerkno et s’est pris l’orage dans la descente tandis que j’étais sous mon chapiteau. Dégoûté, ça l’a amené à la même conclusion que moi, et à trouver cet hôtel.
On discute plus longuement que la première fois, et j’en apprends plus sur lui. Dans la vie il est ingénieur en génie civil, mais a quitté son job pour un autre et profite du battement entre les 2 pour parcourir l’Europe. Il est aussi venu en train, depuis le Royaume-Uni, avec pour idée de parcourir le Slovenian Mountain Trail. Celui-ci est plus long, car il traverse la Slovénie d’est en ouest. Arrivé dans les Alpes kamniques, il a toutefois du abandonner ce projet car le chemin était encore trop enneigé. Il a alors pris un train et est reparti à la place du sud du pays, à Ankaran, et a suivi ensuite – je crois- le Slovenska Planinska Pot, qui est un itinéraire longue distance parcourant plus ou moins les mêmes sections que la Via Alpina. C’est pourquoi il traînait la patte lorsque je l’ai rencontré hier : il est sur la route depuis bien plus longtemps que moi. Lorsqu’il aura fini sa marche, il rejoindra sa copine pour des vacances “repos” en Italie.
On boit 2-3 bières et on mange ensemble au restaurant de l’hôtel, histoire de taper dans le buffet à volonté: gavage pour les randonneurs pour un rapport qualité/prix imbattable. Traversant un groupe réuni par un séminaire d’entreprise, on y débarque en chaussettes, ayant tous 2 nos chaussures trempées et pas d’autre paire. La grande classe. Avant de regagner nos pénates on se donne rendez-vous pour le lendemain au petit-déjeuner. Sans promesse qu’on fera le sentier ensemble, car avec sa douleur à la cheville il avance un peu plus doucement. Et surtout, il n’a pas encore décidé de son itinéraire pour les prochains jours. Il envisage mais sans en être encore certain, de prendre le train a Podbrdo, pour traverser par le tunnel et visiter un peu les alentours de Bohinj. Pas de train pour moi: j’ai à cœur de tout faire à pied.
Ainsi se termine une journée qui malgré son court kilométrage n’a pas été facile, mais qui se termine bien, avec une belle rencontre.