Etape 5 – Cerkno →Črna prst – km 138

Mardi 4 juillet 2023

Distance25 km
D+ / D-2628m / 1124m
Heure de départ et d’arrivée8h10 – 18h35
MétéoTrès ensoleillé en début de journée, se couvrant dans l’après-midi
~23°C

A 7h30 je descends dans la salle à manger pour le petit déjeuner, mais je n’y vois pas Ryan. Il est vrai qu’on avait pas convenu d’heure. Je repasserai jeter un œil avant de partir à 8h15, sans plus de succès. Tant pis.

En préparant mon sac je remarque la disparition de ma bouteille + filtre à eau. Décidément, l’orage d’hier m’aura coûté cher. J’enrage, d’une part parce que le système (Katadyn) coûte un certain prix (~40€), mais aussi parce que je comptais dessus pour la traversée du Triglav. Dans ce massif de type calcaire/dolomitique l’eau est très rare et l’eau potable dans les refuges carrément inexistante. Si bien que de l’eau en bouteille y est proposée, mais à des prix exorbitants (j’ai lu qu’il n’est pas rare d’y payer une bouteille d’1.5 litres aux alentours de 5 euros). Par contre ils ont souvent de l’eau de récupération du toit, que je pourrais filtrer et boire sans risque.

En reconstituant le fil des évènements, je me souviens avoir rempli la bouteille hier à la fontaine après l’épisode de la perte de la carte bancaire. Les deux ne sont donc pas liés. En repensant au cheminement qui a suivi jusqu’à l’hôtel, ça fait rapidement tilt dans ma tête. Je revois ce moment où le proprio du premier logement visité a secoué mon sac, et je suis maintenant convaincu qu’il a du au passage desserrer une sangle : la bouteille posée sur le haut du sac sera alors tombée. Dans mon état misérable je ne m’étais rendu compte de rien. Sans trop d’espoir je me lance dans la petite grimpette qui monte à ce logement, et j’arrive sur les lieux sans rien remarquer. Mais alors que je redescends, me demandant si ça vaut le coup que je perde du temps à fouiller les containers plastiques du coin – où selon toute vraisemblance quelqu’un ignorant sa valeur l’aura jetée – le miracle divin se produit : dans un virage, à peine 50 mètres plus loin, je vois ma bouteille sur le bord de la route. Comme dans un film. Sans doute poussée ici par un passant, elle semble intacte. Le temps de la nettoyer et de la remplir et je me mets enfin en route, les recherches ne m’auront pris qu’un petit quart d’heure.

En sortant du village, le chemin s’élève directement en direction du Porezen (1630m), pour une montée totale de près de 1300 mètres. J’ai choisi l’option la plus directe passant par le hameau de Labinje, qui surplombe Cerkno, plutôt que de passer par le fond de vallée (lequel me laisserait le plus dur de la grimpette pour la fin). Je fais donc les plus gros pourcentages au frais, sous une très belle lumière, comme on en voit souvent les lendemains de forte pluie.

Peu avant d’arriver au hameau, je vois les locaux affairés à réparer le chemin, abîmé par le ruissellement intensif des averses d’hier. En regardant les statistiques météo ce matin, j’ai appris qu’il est tombé 100 mm de pluie hier à Cerkno…vraiment pas un temps à dormir dehors…

En une petit heure à peine j’arrive à Labinje, et suis surpris d’y découvrir un chemin indiquant le Porezen, et qui ne figure pas sur ma carte. Il semble me faire passer tout droit là où ma simulation de tracé me faisait faire un détour. Je décide de l’emprunter car il est balisé en rouge, comme tous les chemins officiels du coin. Et en effet il débouchera bien là où je l’attendais. Chose amusante alors que j’écris ces lignes 2 mois plus tard, je vois que ce chemin a maintenant été ajouté à la carte mapy.cz (mon indispensable et favorite application de cartes et navigation).

Après une montée tout droit dans une prairie (où je dépasse un rare groupe de randonneurs faisant une pause), sous un soleil déjà ardent, le sentier montre ensuite plus tranquillement, suivant le flanc de la montagne sous le couvert d’une ombre forestière salvatrice. A travers les arbres, je profite d’une vue spectaculaire sur la vallée, et sur les nuages en formation par évaporation de la pluie de la veille. Alors que je me demande si je ne vais pas me retrouver dans un brouillard complet au sommet, j’arrive au col de Velbnik (1331m). Profitant du banc installé là, j’y fais une pause de quelques minutes, et repart en oubliant mes bâtons (acte 3, et demi-tour après 200m). Une nouvelle montée sèche m’amène à un nouveau col au pied du sommet, en compagnie des vaches.

J’observe avec satisfaction que les nuages en formation semblent se bloquer à gauche du sommet et ne pas passer la crête, la vue en haut ne devrait donc pas être trop gâchée.

Un dernier effort et je parviens au sommet à 11h53, soit une grimpette d’un peu moins de 3h30 depuis le centre de Cerkno. Pas hyper rapide : j’ai un peu peiné sur la fin sur la crête très raide.

En haut la vue est superbe sur le massif du Triglav, et je fais face maintenant à la crête que j’emprunterai demain, ou plus tard aujourd’hui, car à cet instant la suite du programme n’est pas encore bien claire.

Au refuge légèrement en contrebas du sommet je m’accorde une pause bière + banane. Je n’ai même faim plus que ça, peut-être en raison du petit déjeuner buffet trop copieux, et j’ai la flemme de sortir mes provisions du fond du sac. L’endroit est vraiment joli et me donne un peu de regrets de ne pas y avoir dormi. Il n’y absolument personne à part les gardiens (un couple assez âgé), et un enfant de 12 ans (leur petit fils?), qui parlant un peu anglais, sera tout content d’aider à traduire ma commande à sa grand-mère.

Ayant pour je ne sais quelle raison le feu au cul, je repars assez vite pour la descente, direction Petrovo Brdo (800m), un hameau posé sur un col routier. Une fois encore je ne croise que des vaches sur le sentier, et lorsque 1h30 après j’arrive à destination, il n’y a guère davantage de monde. A cet endroit je sais devoir prendre une décision, ayant plusieurs scénarios possibles pour la traversée du Triglav, que je dois calculer pour arriver au bon refuge au bon moment (camping interdit).

La fermeture inattendue du réputé refuge/auberge/camping de Petrovo Brdo se chargera de prendre la décision pour moi : pas d’autre choix que de continuer. Il n’est que 14h et les lieux ne sont pas propices au camping impromptu (bord de route, pentu). La prochaine étape sur l’itinéraire de la Via Alpina est le refuge de Črna Prst, à 1837m. Le problème c’est que ça n’est pas tout près : 4h de marche, et encore 1200m de dénivelée… Je décide malgré tout de partir dans cette direction : après tout les journées sont longues et il y a de la lumière jusqu’à 21 heures. Advienne que pourra.

Problème suivant : je n’ai plus une goutte d’eau, il faut que je trouve un ravitaillement que j’avais prévu de faire ici, sans imaginer que l’auberge puisse être fermée. Pas de fontaines visibles autour, ni commerces ou autres lieux publics, par contre il y a beaucoup de résidences. Nécessité faisant loi je m’apprête à faire du porte-à-porte lorsque déambulant dans le quartier un peu plus bas, je remarque une imposante bâtisse de type grande résidence partagée. En m’approchant je comprends en fait qu’il s’agit d’une maison de retraite. Je me présente à l’accueil mais le gardien commence à me faire des grands signes de bras : il ne me comprend pas quand je dis « voda » et croit que je suis à la recherche d’un toit. Il m’indiquera 3 fois la direction du refuge fermé, jusqu’à ce que je sorte une bouteille d’eau de mon sac et la lui tende sous le nez . Cette fois-ci c’est gagné, il m’escorte au poste barrière où se trouve un lavabo. Je tire un litre que je bois immédiatement pour refaire mes niveaux d’hydratation, puis remplis mes bouteilles, sous l’œil étonné de la secrétaire. Un petit vieux un peu gâteux, probablement au milieu de sa balade, est venu observer la scène et ricane, les mains croisées dans le dos. Il semble que j’ai été l’attraction de la journée et qu’on parlera de moi au repas du soir.

Ma tâche accomplie je regagne mon chemin rouge. Après quelques mètres celui-ci contourne la clôture qui entoure l’auberge fermée et dévoile…un petit portail permettant d’entrer dans la cour par-derrière, ainsi qu’une fontaine, où les randonneurs de passage peuvent se ravitailler en eau en l’absence des propriétaires. Les lieux sont également équipés pour le pic-nic (table, préau), et il s’y trouve même un distributeur de boissons fraîches. La vie est parfois cruelle.

Amèrement je poursuis ma route, les premiers hectomètres sont très raides, ce qui n’est pas pour me déplaire, préférant toujours me débarrasser du plus dur d’abord. Et en effet après 45mn de ce régime la pente devient plus régulière, allant à nouveau à flanc de montagne, jusqu’ à rejoindre la crête plus haut.

Ça n’est pas pour autant une promenade de santé, et les efforts de la journée commencent à peser, physiquement et mentalement. Pour faire passer le temps plus vite, je mets de la musique dans les oreilles, et me rassure en remarquant qu’il y a des endroits où poser la tente, si jamais je suis frappé d’épuisement soudain.

Au bout d’1h30 de montée j’atteins le col de Bače (1273m). Je suis certainement sorti de la trace pour un instant car je n’y vois pas les baraquements et bunkers militaires censés s’y trouver, témoins des guerres du siècle passé. La grimpette reprend ensuite de plus belle pour enfin rejoindre la longue crête, les lieux deviennent de plus en plus aériens aux abords des sommets de Kobla (1498m) puis Krevl (1515m) – âmes sensibles ne pas regarder sur sa gauche. J’ai le vertige et je ne fais pas le fier.

Le sentier redescend ensuite vers des pâturages près desquels j’essaie de reconstituer quelques forces, avant d’entamer l’ultime montée vers Črna Prst. Après quelques lacets raides je passe un col à 1700 mètres, la vue est grandiose et vertigineuse vers le refuge posé sur son nid d’aigle.

Un dernier passage en crête avec encore le vide à gauche, et à 18h35 me voilà enfin au refuge, bien exténué. Il y avait 4h de temps annoncé pour monter, et j’ai mis un peu plus. Sans être une bête de course, je suis pourtant d’ordinaire un peu plus rapide que les temps annoncés. Preuve que j’ai poussé près de mes limites aujourd’hui et qu’il n’y a plus grand-chose dans le moteur. Record personnel battu avec presque 2700m de dénivelée dans la journée, si j’ajoute au compte les petits détours et oublis de bâton.

Au refuge je prends une place au dortoir (qui fait environ 20 places), en m’installant je note qu’il n’est qu’a moitié occupé, tant mieux il n’y aura pas à jouer des coudes cette nuit. Je redescends à la salle commune profiter de l’ambiance montagnarde et des lieux, pas de touristes ici mais seulement des randonneurs chevronnés, et une vue a 180 degrés sur les sommets aux alentours. Par contre personne avec qui vraiment échanger: je suis ici le seul marcheur en solo et il n’y a autour que des groupes, ou des couples, de toutes sortes de nationalités. Le refuge est gardé par un jeune couple très sympa, le gars sera le premier (et le seul) pendant mon séjour à réagir à mon nom de famille, je lui réponds que c’est évidemment pour ça que je suis arrivé si tard… Je conclus ma journée en m’offrant bière et repas, ils n’ont plus de pâtes alors ce sera chou et saucisses (la cuisine slovène est davantage allemande que raffinée…). Le temps de recharger le téléphone, prendre quelques notes et regarder la route pour le lendemain, et je file au lit un peu avant 22h.