Vendredi 7 juillet 2023
| Distance | 22 km |
| D+ / D- | 895m / 1673m |
| Heure de départ et d’arrivée | 7h30 – 16h45 |
| Météo | Beau, débuts d’accumulation orageuse à midi mais n’éclatant pas, ~23 °C |

Après un réveil à l’aube et un petit déjeuner sans saveur, je m’élance à 7h30, motivé par la perspective de découvrir les lacs du massif du Triglav. Ceux-ci sont en effet très rares sur ce haut plateau karstique, Il y en a d’ailleurs essentiellement dans une seule vallée d’altitude, nommée « Vallée des 7 lacs », et que je projette de remonter aujourd’hui. Ailleurs, la plupart des eaux de surface s’infiltrent, et le tout donne une impression bizarre au randonneur habitué à arpenter les Alpes de l’ouest ou les Pyrénées : ici peu de ruisseaux, et un silence souvent complet.
Quelques minutes suffisent à me mener au pâturage d’altitude suivant (“Planina Dedjo polje”). Je suis étonné d’y remarquer de l’animation en cette heure matinale, ainsi qu’un véhicule 4×4 garé au milieu des chalets. Ils n’a pas pu passer par mon sentier donc visiblement il y aurait une piste venant par l’autre côté, pour rejoindre ce lieu de villégiature pour le moins original et isolé.


Je poursuis mon chemin et parviens à un col sans nom d’où s’ouvre un panorama vers la crête que j’ai escamotée avant-hier, et que j’identifie être le groupe de sommets faisant suite au Vogel. De là j’ai le choix entre deux variantes pour rejoindre le premier lac. J’ai déjà tranché pour celle passant par le col de Štapce (1851m), car les vues s’annoncent plus spectaculaires.

En prenant sa direction, je suis précédé par un oiseau qui se pose à quelques mètres devant moi, et qui à chaque fois que je me rapproche, se pose d’un coup d’ailes quelques mètres plus loin, puis me regarde, comme s’il voulait m’indiquer le chemin. Si on était dans un film fantastique, je dirais qu’il serait probablement la réincarnation d’un disparu, qui voudrait m’envoyer un signe pour m’aider à résoudre une vieille affaire inexpliquée. Dans la réalité, l’oiseau finit tout de même par me quitter après cinq bonnes minutes de ce manège. Reste la quasi certitude que son comportement était influencé par ma présence, ce qui est déjà captivant en soi.
L’ascension vers le col se fait par une trace facile, mais une fois en haut après avoir admiré le panorama, je constate que la descente vers l’autre versant s’annonce un peu périlleuse, car équipée d’une échelle pour désescalader le rocher dans les premiers mètres.


Ca n’était pas sur ma carte (mais ça l’est maintenant deux mois plus tard), et heureusement car sinon j’aurais peut être voulu contourner ce passage, alors que finalement il s’est avéré sans difficulté majeure. Par contre, après avoir passé l’échelle, c’est casse-gueule avec une très forte pente et des cailloux qui font rouler le sol érodé sous les pieds. Je glisse à deux reprises, mais me rattrape sans casse.



A 9h30, j’arrive sur les bords du lac (en fait deux petits lacs côte à côte), puis rapidement au refuge « Koča pri Triglavskih jezerih ». Il y a ici déjà beaucoup de monde malgré l’heure, entre les randonneurs qui se préparent pour la journée, et ceux qui finissent le petit déjeuner. Je ne regrette pas de ne pas avoir essayé d’y dormir : à vrai dire avec cette cohue je n’ai même plus envie de suivre mon plan de m’y arrêter pour un café. Je continue donc et en passant derrière le bâtiment ça n’est pas plus glamour : mini barrage hydroélectrique, station de pompage, on peut dire que c’est bien équipé. Peut-être même un peu trop. A leur décharge, le tout a certainement été édifié à une époque où les considérations environnementales étaient très secondaires.





Alors que la vallée gagne en altitude, les arbres s’effacent progressivement, et au-dessus de 1800m finissent par laisser place complètement au minéral. Sur ma droite s’élève une imposante paroi, et dans les recoins ombragés je commence à apercevoir quelques névés. Après 45mn, j’atteins le second lac (« Jezero v Ledvicach »), plus sauvage celui-ci, où je prends une pause Snickers.




Le chemin est agréable, en pente douce, et alors que j’approche du lac numéro 3, je suis survolé par un hélicoptère qui passe à seulement quelques dizaines de mètres de moi, en frôlant le sol le manière impressionnante. Les pilotes locaux semblent être de vrais kamikazes. Vu le nombre de Via Ferrata dans la région, de parois verticales et donc de chutes de pierres, je me dis que leurs journées sont certainement chargées, et qu’ils n’ont pas le temps de traîner…



Le lac suivant, nommé « Zeleno jezero » (lac vert) vaut également le coup d’oeil, avec un joli sommet derrière pour la carte postale. Toujours aucun cours d’eau pour relier ces bassins : l’eau passe souterrainement. On peut tout juste observer ça et là des petites mares ou des trous d’eau qui affleurent.



Alors que je dépasse les 2000 mètres, j’ai le choix entre deux routes pour rejoindre Trenta. L’officielle de la Via Alpina, un peu plus longue et qui monte encore plus haut en altitude, en passant par le refuge « koča na Doliču » . L’autre qui redescend plus vite mais longe auparavant le lac de Rjavo et le refuge de Prehodavcih. Je le regretterais peut-être un peu plus tard, mais à ce moment j’estime que j’ai eu mon compte et je prends l’option courte, qui d’après ce que j’ai lu offre des paysages qui n’ont rien à envier à la première. Enfin quand je dis « courte », ça reste tout de même une journée de 8h de marche. En outre, le ciel vers l’est est en train de se couvrir de nuages de plus en plus gris, et la dernière chose que je souhaite, c’est de me trouver dans un orage au milieu d’une longue descente (1200m de D -). Je prends donc la direction ouest, et passe devant le dernier lac, tout aussi beau que les précédents. J’en aurais vu ainsi 5 sur les 7, l’un se trouvant plus haut hors chemin, et l’autre au tout début de la vallée. A 11h39 j’arrive aux abords du refuge et atteins ce qui sera pour moi le point culminant de ces 9 jours de randonnée : 2065m.



Ca ne paraît pas haut, mais comparé à d’autres coin des Alpes, le plancher est beaucoup plus bas : c’est donc tout aussi massif, et vertical. Un peu la même configuration que les Dolomites, géographiquement et géologiquement pas si éloignées. Je mesure cette verticalité en entamant la descente : la vallée semble minuscule tout en bas et les montagnes apparaissent monumentales. Avant de me lancer j’angoisse un peu sur ce qui m’attend, mais heureusement il n’y aura rien de spécialement délicat ou vertigineux. C’est juste raide, avec quelques courts passages en balcon où je crains de me prendre sur une pierre qui tomberait de la paroi me dominant.



Cela n’arrivera pas, pas plus qu’à ce groupe de touristes que j’observe, alors que je rallie le bas de la descente, faire les zouzous sous une paroi de quelques centaines de mètres, le tout hors piste et avec des enfants. Je ne dis pas qu’ils mériteraient de se prendre un éboulement, mais parfois…




Il me faudra 2h30 en ménageant mes genoux pour rejoindre la vallée et chose rare, les bords d’un ruisseau (Zadnijica), affluent de la Soča. Alors que je fais une courte pause je suis dépassé par un couple de marcheurs, il me semble avoir déjà vu leur tête et en y réfléchissant bien, je crois me souvenir qu’ils étaient au refuge de Črna Prst, il y a 3 jours. Le monde est petit.
De là, j’ai encore presque 5km de piste pour rejoindre Trenta, qui paraissent interminables, même si la fin sera plus gratifiante avec de superbes vues derrière sur les montagnes que je viens de descendre.



J’arrive à Trenta à 15h20, et comme je n’ai pas encore pris de vrai repas aujourd’hui je m’offre un plat de pâtes au gorgonzola dans l’unique restaurant. Le village est minuscule et très isolé, mais il connaît néanmoins de l’activité en été, grâce à sa position stratégique de porte d’entrée du Triglav. En repartant, je fais quelques courses de réconfort pour le soir (fromage, bière et gâteaux apéro : que des choses saines) dans une mini supérette. Le camping où je compte dormir ce soir est un peu plus loin, sur la route du col de Vršič. Cela me coûte une dernière petite grimpette et une demi-heure de marche supplémentaire, avec mon sac bien chargé. J’y suis au final vers 16h45, le camping est comme je les aime : petit, simple, nature, et avec des vrais campeurs, sans 36 chalets ou mobile-homes qui deviennent de plus en plus la norme dans les campings d’aujourd’hui…Le genre d’endroits avec des gens sympas, tel que mon voisin (hollandais ou allemand je ne me souviens plus, mais du genre bien équipé pour des vacances camping), qui viendra me prêter son marteau quand il me verra peiner pour enfoncer mes sardines dans le sol caillouteux.
Pour ce qui sera ma dernière nuit en Slovénie je profite du luxe d’une douche, suivi du bonheur simple d’enfiler des vêtements pas trop puants. Tandis qu’une famille est en train de se cuisiner un gueuleton, partageant avec moi la table en bois jouxtant ma tente, un gamin curieux viendra me demander ce que je mets dans ma semoule. Il aura une moue de dégoût quand je lui montre que c’est un tube de mayonnaise mélangée avec du ketchup. Je ne peux que lui donner raison, je ne l’ai pas acheté en connaissance de cause, je croyais que c’était du ketchup simple…Et oui, cette abomination existe bien, poussant même le vice jusqu’à éjecter les produits par 2 sorties différentes, pour former un ruban multicolore du plus bel effet.
La nuit tombant, je finis mon bouquin et conclus mon plan pour demain : l’objectif sera de partir très tôt. En effet dans la même journée je compte faire la dernière étape, mais aussi attraper un train à Tarvisio, avec pour idée de rentrer à la maison, ou au moins m’avancer un peu. Histoire d’avoir un jour de battement avant de reprendre le boulot lundi. Je mets donc le réveil pour 5h, et me couche tôt.
