Etape 9 – Trenta→Rateče – km 210

Samedi 8 juillet 2023

Distance21 km
D+ / D-1199m / 1029m
Heure de départ et d’arrivée05h55 – 12h55
MétéoBeau et ensoleillé, ~26 °C

Pressé d’en finir je fais mon paquetage à l’aube, et un peu avant 6h je pars pour ma dernière étape. Les premiers kilomètres consistent en une remontée de la Soča jusqu’à sa source. Hier le sentier pour arriver côté forêt était parsemé de cailloux et racines (en plus d’être irrégulier), j’imagine que la suite est similaire et ça ne ne me tente pas, vu l’heure précoce. Je profite donc de l’absence de circulation pour marcher le long de le route et avaler encore plus vite cette section. Je passe devant de superbes maisons et après 45mn, me voici au niveau du refuge situé près des sources. Un joli lieu que je connais déjà pour l’avoir visité en 2021. Il faut croire que j’avais envie d’y retourner, car il n’était normalement pas sur mon chemin : j’ai manqué à 100 mètres derrière moi le sentier pour le col de Vršič, et dois faire demi-tour pour le retrouver.

L’ascension sera rapide et agréable, marcher a la fraîche permet « d’envoyer des watts » comme on dirait dans le cyclisme. J’avale les 700m de dénivelé en 1h30, n’oubliant pas tout de même de me retourner de temps à autre pour admirer le panorama sur le Bavški Grintavec (2347m) et le Trentski Pelc (2116m).

Un peu avant 8h30 j’émerge au col, je suis surpris d’y voir déjà beaucoup de voitures. Il y a semble-t-il beaucoup de départs de randonnées d’ici, et aussi plusieurs auberges ou refuges dans les alentours où passer la nuit. A 1611 mètres, c’est aussi le plus haut col routier de Slovénie, ce qui attire les curieux. Je m’arrête au refuge de « Tičarjev dom na Vršiču » pour un café, et m’élance ensuite pour la dernière ascension de mon périple : le col de Vratca (1807 m), un col piéton celui-ci.

Dans la montée, les vues derrière sur le Triglav et les montagnes l’entourant sont exceptionnelles, malgré le contre-jour causé par le soleil qui commence à monter et taper fort

. Lorsque je passe le col et découvre le panorama sur l’autre versant c’est tout aussi magnifique, avec un décor cette fois très photogénique offert par le massif du Mojstrovka. Je suis agréablement surpris car je n’attendais rien de particulier de cette étape, ayant même lu sur le site de Via Alpina un commentaire la qualifiant d’ennuyante. Bon, cette personne devait être mal lunée ce jour là, car c’est assurément parmi les plus belles sections en Slovénie, et il aurait été dommage de la rater en s’arrêtant à Trenta ou au col de Vršič (comme je l’avais brièvement envisagé, lors de mon coup de fatigue après l’étape de Črna Prst).

Depuis le col il y a plusieurs variantes pour redescendre vers la vallée de Planica. Les commentaires sur ce passage sont un peu ambigus, certains affirmant que la voie normale est « compliquée », se faufilant dans des gorges au milieu de rochers, dans une pente très raide et avec un chemin éboulé, et que donc le passage par l’alternative, le col de Grlo, serait meilleure. Une fois sur place, ça n’est pourtant pas la route qui semble recommandée par les pancartes. Et ça n’est pas non plus ce qui apparaît sur ma carte, lorsque j’observe les obstacles et courbes de niveaux. D’ailleurs la voie par Grlo est indiquée comme étant équipée, à un endroit où elle franchit une barrière rocheuse. Je fais donc confiance au tracé officiel et m’engage sur le sentier des gorges. Celui-ci suit franchit d’abord un petit plateau, puis au col de Slatnica (1815 m) une descente de 700 mètres commence, assez raide et technique encore une fois. Je n’aurais pas voulu monter par ce côté-là…Je dois d’ailleurs rassurer quelques randonneurs que je croise après quelques lacets, en leur confirmant qu’ils sont presque au bout de leur peine. Les sommets autour sont toujours aussi spectaculaires et verticaux, et après avoir traversé des champs de rochers et cailloux, j’atteins enfin l’entrée des fameuses gorges.

Je comprends vite leur difficulté a sans doute été exagérée. Certes c’est raide, et certes il n’y a plus (en partie) de chemin, mais il n’y a pas de vide, ni de « désescalade » : sur l’instant ça me paraît même presque ludique, et pas plus compliqué que de déambuler dans les rochers d’une plage bretonne à marée basse, à la recherche de coquillages. Il est aussi possible que hors saison, ou après une grosse pluie, ça soit une autre paire de manches avec un ruisseau gonflé.

En tout cas j’arrive en bas sans pépin : j’en ai fini avec la montagne pour ces 9 jours de randonnée. En effet il ne me reste plus que 8 km de marche dans la vallée, pour rejoindre Rateče puis la frontière italienne. Je les débute en croisant une jolie cascade, puis quelques centaines de mètres plus tard l’auberge-refuge de Dom v Tamarju. Plus de doute, j’ai bien quitté les hauteurs: il y a une foule incroyable. Il n’est que 11 heures, mais il y a malgré tout de nombreux candidats au déjeuner. Apparemment la route n’arrive pas loin, offrant un accès au touriste en claquettes. Avec 5 heures de marche dans les pattes je me dis que je mérite tout de même une petite pause. Je m’arrête donc sur la terrasse mais engloutit rapidement ma bière et repart après seulement un quart d’heure, car avec l’affluence les seules places libres étaient en plein soleil, et je cuis déjà sous les premières attaques de la canicule de début juillet 2023.

C’est à cet instant que je réalise que j’ai marché bien plus vite que prévu. Hier en regardant les horaires trains au départ de Tarvisio j’ai noté qu’il y en avait 2 pour Vienne, à 12h45 et 18h45. Je n’ai jamais pensé que je pourrais attraper le premier, et au final j’étais parti tôt juste pour « assurer ». Mais je me trouve maintenant à un peu plus d’une heure du village de Rateče, qui lui-même se trouve à une quinzaine de minutes de route à peine de la gare de Tarvisio. Je décide de presser le pas au cas où. Je passe en coup de vent devant le tremplin de saut à ski de Planica, célèbre dans le monde entier car c’est le premier tremplin géant du genre construit, et c’est à cet endroit qu’ont été dépassés pour la première fois les 200 mètres en vol à ski.

Ce sport est beaucoup plus populaire dans les régions nordiques et d’Europe de l’est, et chaque manche de coupe du monde attire des dizaines de milliers de spectateurs. Et également beaucoup de touristes en dehors des compétitions, venant ici en pèlerinage comme d’autres visiteraient un grand stade de foot : je croise ainsi un bus touristique venu de…Bosnie, dont les passagers descendent pour prendre des photos du tremplin. Ca explique sans doute aussi l’affluence au refuge précédent.

A 12h25 j’arrive aux abords de Rateče : j’ai parcouru les 7 derniers kilomètres en moins d’une heure. Avec 15mn pour rejoindre la gare située à 10km, je songe à tenter le tout pour le tout, en arrêtant une voiture, comme on le ferait dans les jeux télévisés du genre La Carte au Trésor ou Pekin Express. Je trouve finalement l’idée un peu vaine et ridicule (et surtout sans grande chance de succès, car ça se jouerait vraiment à la minute près), alors tant pis, j’abandonne et file vers le village, en quête d’une terrasse pour déjeuner. Malheureusement les deux restaurants du coin sont archi-complets. Mon calme étant précieux je repousse l’heure du repas, et décide alors de marcher le dernier kilomètre jusqu’à la frontière. De là j’imagine trouver un bus qui m’amènerait à Tarvisio. A 200 mètres du but, je vois un bus se pointer à l’arrêt, puis faire demi-tour et repartir. En lisant les horaires sur place, j’apprends alors que c’était le dernier de la journée (il doit en passer 2 en tout et pour tout). Je me sens un peu maudit de rater toutes mes échéances pour quelques minutes. J’espérais célébrer de manière un peu meilleure mon arrivee de la Via Alpina 2023.

Il me reste deux options. Faire du stop, ou marcher jusqu’à la gare : 12 km par les chemins (ou bien 9 en longeant une route fréquentée). Je choisis évidemment la première, mon objectif « De mer à frontière » étant accompli, je n’ai pas la motivation pour 2h30 de marche supplémentaire par cette chaleur. Après avoir été ignoré par quelques grosses berlines, une voiture plus modeste s’arrête. C’est un groupe de jeunes (ils ont la vingtaine) qui part en road-trip vers le sud de la France puis l’Espagne, et qui passent prendre au passage un pote qui se trouve en Slovénie. Je dis au passage car…ils viennent de Tchéquie, et plus précisément, ils sont étudiants à Brno ! Je ne pouvais pas rêver meilleur secours. Je leur raconte mon voyage, je pense qu’ils me prennent un peu pour un fou (c’est évidemment pas le genre de vacances dont on rêve a 20 ans), et ils me déposent à la gare. J’ai maintenant 5 heures à attendre jusqu’au prochain train. Je tente une sortie vers le centre de Tarvisio, mais celui-ci est assez loin, la zone péri-urbaine n’invite pas à la promenade, et la chaleur est de plus en plus écrasante. Je fais demi-tour, et faute de bus pour m’emmener au centre, je passerai le reste de l’après-midi à errer dans les halls surdimensionnés, vides et sans âme, de cette gare internationale moderne. Fin de l’aventure et brusque retour à la réalité…